Lire en automne

Entre deux averses ce livre rongeait ma solitude, l’automne était ma période fétiche pour lire et vivre par cafard interposé cette nuit perpétuel en moi, tenter de détromper le flot de questions affluant quand l’hiver empêchait les distractions extérieures, la bière dégoulinait dans ma torpeur près d’un feu brulant, tisonné à blanc pour provoquer cette fatigue hypnotique et bienveillante du feu de cheminé, j’arrivais alors à ne plus penser et me laissant porter par ces suites de mots menant nulle part sinon à un sommeil pas trop cauchemardesque, la dernière gorgée de bière est la plus amère, sensation d’une vie longue en bouche, qui s’accroche

inspiré de la photo Beer and a book du blog More reveries.

(Reveries 1/3)

Je suis

Cela fait longtemps que tu es parti et toutes ces lettres ne suffisent plus. Tu me manques. Cette fois je voulais t’envoyer autre chose que des mots. J’ai demandé à Ali de faire ce dessin de moi aujourd’hui. Il est trop fort, on dirait presque une photo. Qu’en penses-tu. ?

J’essaie de ne pas grandir trop vite en attendant que tu rentres. Pourquoi es-tu parti si loin pour gagner ta vie ? Tu me manques. Ta voix qui me raconte des histoires le soir me  manque. Ton petit bisou et tes chatouilles  du matin pour me réveiller aussi !

Les copains se moquent de moi. Des fois, ils disent que tu fais des choses dégradantes pour gagner ta vie. Des fois, ils disent que je suis orpheline et que je refuse de l’accepter. Je suis trop petite pour leur faire du mal mais je te promets que je leur tape dessus de toute mes forces. Quand je serai plus grande, ils n’oseront plus me dire de telles bêtises.

Tu me manques. Reviens vite ! Tu me prendras dans tes bras comme avant et ils seront jaloux comme des poux. On doit encore changer de camp à cause de la guerre mais je fais comme dans l’histoire que tu m’as racontée une fois : je sème des cailloux entre chaque étape.

Tu me manques, alors, reviens très vite de ton pays d’en haut, du nord où tu as froid. J’aimerais bien que tu m’envoies aussi une photo ou un dessin de toi là où tu vis maintenant. J’ai du mal à imaginer malgré les livres de la bibliothèque.

L’instituteur dit que j’apprends bien et j’espère que tu le vois dans ma lettre.

Cela fait longtemps. Ecris-moi vite, Tu me manques. Grosses grosses bises.

Ta fille

D’après enveloppe « Je suis… » envoyé à Isartpostal

La promenade du viel homme

Collage autour de BergsonJ’avais écrit toutes ces lignes et je marchais ce matin-là fort des mots étranges qui avaient envahi mon esprit. La ville en devenait floue. Je ne voyais plus très bien les gens autour de moi. Il me semblait qu’on me regardait comme quelqu’un de suranné. Tout était vertige, sensation tortueuse d’être loin de tout. Il y avait cette arcade soutenant un pont à jamais désert, y compris par les animaux et les plantes. Le Pont Maudit était son surnom…

J’entendais un peu la rumeur du monde, ce malstrom de bruits et de voix, la symphonie d’un monde hyperactif. Sortir ma montre à gousset semblait installer comme une pause surréaliste. Je traversais avec indifférence brouhaha et hyperactivité jusqu’à mon salon de thé. Je compris que c’était le début de ma fin quand je vis, posé sur la vitrine : « Fermeture définitive »

Crunch

Le futur s’écroule dans ma tête, je ne comprends plus rien, le paysage qui m’entoure est étrange, que fais-je ici loin de chez moi, loin de mon travail, est-ce que je fuis, ma vie est vide,  le travail m’oblige à répéter une litanie douloureuse, plus d’argent, plus de travail, vous ne servez plus à rien mais rester encore un peu, on ne sait jamais, si ce n’était qu’une mauvaise passe, oublier vos primes, votre salaire est réduit, soyez solidaire, c’est un strict minimum, faites un beau geste, ma femme ne sait plus quoi me dire, je me plains tout le temps, je suis exécrable, mes tous jeunes enfants -mes jolis coeurs- n’osent plus m’approcher, je suis leur grand méchant ogre, j’ai le vertige quand je vois la peur dans leurs petits yeux innocents, les objets m’en veulent, ma voiture, mon ordinateur portable, mon téléphone mobile, tout conspire à me nuire, je cours loin des tracas, prenant le métro au hasard, les gens sont bizarres et leurs regards angoissants, sortir pour respirer un peu d’air non-hostile, mais le paysage est dangereux, il m’en veut, que faire? où fuir? Non, le téléphone sonne, c’est déjà l’heure? Perdre sa liberté pour si peu, il n’aurait pas fallu, c’était inévitable.

d’après le photoblog The Rip, inspiré de la photo crunch

Tracé en rouge – 12 et fin

(…)

dans sa tête son visage disparu oui inventer contre la douleur la fatigue son visage le visage surtout le sourire de celle qu’il aime surtout les mots enfin et par dessous tout il imagine il rêve il s’extrait du rouge par dessus tout il rêve des mots enfin des mots heureux qu’elle lui dit c’est doux il entre oui il entre à grands pas dans ce pas d’elle vers lui ce pas qu’elle fait avec sourire marche spontannée prémisse du bonheur premisse de la logorrhée d’amour il rêve de ce bain chaud apaisant un bain doux qui doucement délivre de l’attente oui pas à pas il peut sourire en rêvant d’ailes qui s’envolent loin dans le lointain non pas vers elle non pas se souvenant d’elle non pas à sa recherche mémoire essayant de se souvenir de son visage fatigué sans sourire non pas les yeux rougis de désespoir non avec l’espoir non avec l’attente non avec la lune qui brille sur l’infini non ses ailes s’envolent vers le lointain loin de la déflagration du cri de la douleur à la tête qui fait mal le rouge qui aveugle ses ailes voient le lointain ses ailes battent l’air vif ses ailes s’envolent fermement joyeuses ses ailes s’envolent enfin avec elle avec son sourire avec son visage plein de mots des mots que pour lui des mots avec elle.

(fin)

Tracé en rouge – 11

(…)

il n’y a plus le lointain l’attente de ton visage qui surgisse de tes cheveux non tes cheveux n’ont plus de couleurs ta main fatiguée d’avoir crié abandonne épuisée rouge quelque chose du flou rouge tombe à genoux mon corps il tombe il imagine qu’il tombe il se souvient qu’il t’imaginait espérant sa venue il se souvient des mots plein d’espoir des mots doux fabriqués pour toi il s’imagine à nouveau ces mots disparus il y avait de l’élan où des mots plein de pas vers toi des mots ayant décrochés la lune il s’imagine tendant ses mains vers ton sourire il ne voit plus tomber être dans la boue épuisé son corps vide se vide s’épuise à respirer rouge il y avait du rouge dans ses yeux ou dans sa tête il a vu rouge il y a eu un cri dans sa tête non un cri déflagration dans son crâne lointain dans le lointain elle une lointaine déflagration son visage a fui depuis avant son visage s’efface de sa mémoire il ne peut qu’imaginer oui respirer

(…)

Tracé en rouge – 10

(..)

s’efface écho de ton cri fatigué lugubre désespéré je suis désespéré de ta haine ton élan heureux devenu haine déflagration joyeuse de ta peur déflagration de ton visage crispé incapable de bonheur appelant le bonheur non voulant le bonheur oui le bonheur le bonheur du cri destructeur loin si loin ce cri fatigué ce rouge qui efface ma mémoire la mémoire de ton visage encore un peu dans ma tête grâce aux mots pas ceux d’amour non ceux d’amour sont fatigués définitivement épuisés comme mon corps à genoux dans la boue mon corps grelottant froid mon corps épuisé d’absence mon corps sans mots attendant tes mots mon corps à genoux perd la mémoire de toi à peine les contours du visage plus imaginés que tracés du réel j’imagine les lignes de ton visage, tes yeux en amande tes yeux bleu vide j’imagine avec peine ton sourire j’entends ta voix sans mots ta voix fatiguée à genoux tes mains non ta main est rouge mes yeux ne voient plus rien

(…)

Tracé en rouge – 7

(…)

lutte non le rouge libère le cri d’amour écho doux de mes mots doux fuite enfin fuite de la peur non tu n’avais plus peur dans tes yeux tu cherchais l’air l’air vif de mes mots de ma bouche comment mes mots d’amour te plaisaient mes mots pour tes yeux bleus pour ce sourire vide pour ta passion s’écoulant rouge mes yeux inondés de larmes de rouge fatigués de te chercher si loin se souvenir de l’air vif sur ton cou les traces de rouge sur mes mains se souvenir de tes mots tu parlais tu parlais contre la boue des mots rouges des grélons en pluie de gré ou de force mes mots d’amour glissaient dans ton coeur mes mots merveilleux fracassés par la pluie le tonnerre de ta pluie tes mots non pas ces mots sortir de ta gorge sortie de ce si joli cou couper mon élan

(…)

Tracé en rouge – 1

Traces tracer dans la boue traces de ma jambe fatiguée je tourne rond tracer un rond presque fermé je regarde ces traces fermées pas d’horizon la clôture serre mes yeux plus aucunes traces d’elle impossible de s’envoler enfermé dans ce rond la boue ralentit pèse mes yeux fatiguent savoir où aller avancer sans savoir où au hasard guetter la moindre trace je fuis elle est partie enfuie au-delà de mes yeux ne plus voir j’ai peur de ne plus voir connaître sans voir les traces fermées laissées croire que revenir en arrière rebrousser chemin suivre les traces croire que c’est possible d’effacer son chemin suivre les traces différentes avoir un chemin dans sa tête au loin devant vide de tous mouvements pas de traces pas d’elle la boue m’attire je tombe elle m’embrasse je repousse les mains pleines de boue debout à tâtons elle est loin si proche pourquoi je voudrais voudrais encore la voir encore près de moi essuyer enfin mes larmes dans son corps essuyer mes peurs encore être pour toujours avec être pour toujours violon d’âmes pluie si proche de nos promesses toutes ses promesses fuir avec elle elle a eu peur elle a dit non elle a dit non je ne peux pas tout dire pourquoi ne plus parler sans savoir que la boue me ralentit jusqu’à toi tu crois toi être loin mais tu es vue je te vois tu ne me fais plus peur c’est toi amour tu as peur de ton amour

Ce pourrait être n’importe qui

C’était avant, la soirée s’annonçait belle, il faisait doux, le barbecue préparait de la bonne viande, je regardais les gens se servir au buffet, j’étais bien, pour une fois j’étais bien, je ne sentais aucune angoisse, toute crise d’asthme semblait improbable, je participais avec avidité aux conversations, c’était avant, aujourd’hui je regarde cette photo qui me parait si étrangère à moi-même, ce pourrait être n’importe quelle famille ou soirée entre amis, et pourtant il semble que j’y étais, c’est moi qui aurait pris la photo, il semble, c’était avant, je ne sais pas ce qui s’est passé, on ne me dit rien, on veut me préserver, on me dit juste « c’était avant », je ne me souvient de rien, je sais juste que j’aimerais y être à nouveau, j’aimerais à nouveau pouvoir être n’importe qui.

d’après le photoblog d’Ilan Bresler, inspiré de la photo Almost Everyone