L’auteur irlandais

L’après-rencontre commence par un temps de silence agréable. Notre auteur irlandais déguste sa bière alsacienne avec plaisir. Regarder la mousse qui s’affaisse lentement semble l’apaiser. Cathy B. a fait une magnifique lecture comme d’habitude et le public déjà conquis a embarqué dans un échange simple, chaloupé et parfois pointu sur l’histoire du pays. Hugo H. a répondu sans langue de bois sur l’aspect historique.
La Winstub est pleine de clients, c’est le début du second service. La table est bancale et je n’arrive pas à stopper un des serveurs. Hugo H. sourit de la situation. Quelques poils rebelles de sa barbe grise pointent sur ses joues.
Les gens étaient présents et on sentait les bons lecteurs me dit-il pour entamer la conversation. C’est vrai que les collègues ont su fidéliser pour ces rencontres des lecteurs attentifs. D’ailleurs nous leur proposons systématiquement une rencontre lors des Belles Étrangères. Pourquoi être si critique vis à vis de vos congénères? Il faudrait savoir dépasser son histoire et enfin passer à autre chose. Cela m’énerve de les voir ressasser le passé et rester englué dans les vieilles querelles, s’échauffe-t-il en triturant machinalement les manches de son pull gris. Son regard prend soudain une teinte douloureuse. Il fuit en regardant les éléments du décor alsacien de la Winstub. Il ne lui aura pas fallu une fraction de seconde pour s’absenter, ne plus être là. Son profil ne trompe pas. Il est irlandais.
Après une nouvelle gorgée de bière pour reprendre de la contenance, je raccroche les wagons en lui parlant des Antilles, notamment la Guadeloupe, qui ont elles aussi du mal à solder leur passé. Mon maître d’armes guyanais n’arrêtais pas de bousculer les guadeloupéens en leur disant de se prendre en main au lieu de se lamenter comme des agneaux déjà dans l’abattoir.
Hugo H. m’interroge alors sur mon enfance et mon parcours, sincèrement curieux. Je lui raconte mes difficultés et mes désillusions. Vivre dans une île est particulier acquiesce-t-il. C’est pourquoi je voyage beaucoup et que j’essaie d’observer mon pays depuis l’extérieur. Je ne me sens pas bien dans ma peau d’irlandais, je ne sais pas vraiment ce que c’est être irlandais, avec toutes ses histoires et tous ces malentendus… communion autour de nouvelles gorgées de bières. Les planches de tartes flambées arrivent et couvrent la quasi-totalité de la table cachant la nappe en papier parsemée de taches de bière. Notre espace est violemment envahis par l’odeur des lardons et du fromage chaud. La faim oubliée réapparaît soudain et chacun saisit religieusement l’une des portions découpés sur sa planche. Hugo H. mange avec une distinction toute britannique, sa barbe reste propre du début à la fin et aucun élément de la garniture ne s’échappe pour tomber sur la table alors que je dois nettoyer régulièrement mon menton couvert de crème et récupérer quelques lardons sur la table.
Revigorer par la boisson et la tarte flambé, il enlève son pull gris sous lequel surgit une chemise trappeur très bariolée… un fin sourire flegmatique se dessine sur son visage en voyant mon air surpris. Ma seule faiblesse dit-il très vite avant de me relancer sur mon enfance.
Soudain plus à l’aise, je me livre aussi à des confidences sur ma difficile adaptation à la métropole, mes premiers mois étranges à Montpellier. Je ne comprenais aucun des codes sociaux. Cela n’avait rien à voir avec la Guadeloupe au niveau des relations humaines. Les réactions de mes interlocuteurs n’étaient pas compréhensibles. Parfois j’avais l’impression qu’ils attendaient quelque chose de moi, sans que je sache quoi et sans qu’ils m’expliquent non plus clairement. D’autres fois, mes paroles ou mes actions ne provoquaient pas les mêmes effets qu’en Guadeloupe.
Pendant que je parle sa main droite trace des traits invisibles sur la nappe maculée de bière et de tarte flambée. Son regard est fixé sur une table voisine, scrutant avec avidité la scène. Troublé et ne sachant s’il continue à m’écouter vraiment, je m’emmêle les pinceaux dans mon récit qui tourne court.
Après un silence intense son « Very amazing, you should write it » résonne encore en moi aujourd’hui.

personnages #5 | dialogue à un seul qui parle dans le cycle vies, visages, situations, personnages de l’atelier en ligne de François Bon

Crêperie en famille?


1/Assis à ma table, je vois bien la tablée composée de deux femmes de plus de 50 ans, un garçon d’environ 7 ans, et deux adolescentes d’une douzaine d’année. Les deux femmes sont face à face d’un coté, le garçon est au milieu et les deux adolescentes face à face de l’autre. Ces dernières sont chacune rivée à leur portable et vu les mouvements de doigts, elle échangent frénétiquement des messages avec leurs copines ou petits copains. Le garçon s’ennuie un peu au milieu et chipote dans son assiette de crêpe pendant que les deux femmes sont en conversation intime. Elles échangent sur des soucis personnels, l’infidélité d’un des maris ou une opération grave de l’autre à moins que cela soit plus futile comme refaire la décoration de leur maison.

2/ Où alors c’est un couple de lesbiennes qui est de sorti avec la famille recomposée, l’une a eu une fille et le garçon, la seconde fille est une amie dont les parents sont en week-end et qu’elles gardent. Deux bourgeoises qui ont assumé tard leur orientation sexuelle et qui maintenant s’affichent à tout va sans aucune retenue. La garçon est mal à l’aise dans cette situation et cela explique qu’il pique sa crise de nerf. Gênées, les deux filles partent en premier et les deux femmes finissent par céder au caprice du garçon et fuient le restaurant.

3/ Les deux femmes sont au restaurant pour laisser leurs maris animer l’enterrement de vie de garçon de leur meilleur pote. Elles se connaissent mal et ne savent pas trop quoi se dire dans cette crêperie, tout comme les deux adolescentes qui préfèrent échanger des messages avec leurs vrais copains/copines que faire connaissance. Du coup, la conversation est décousue entre des silences gênées et des questions polies sur les résultats scolaires, les dernières vacances ou la qualité des légumes qui, même en bio, n’ont plus aucun goût. Le jeune garçon contribue à plomber l’ambiance grâce à des caprices successifs, la mère subit les regards réprobateurs de la tablée, des autres clients et de la serveuse. Au bout du malaise, les jeunes filles sortent en premier alors que le repas tourne court et que les deux mères passent à la caisse.

4/ A part d’infimes petits signes de nervosité, rien ne laisse supposer que ces deux femmes vont bientôt se débarrasser de leurs maris, dans une sorte de crime parfait où ils s’entretuent sans qu’on ne puisse jamais les soupçonner. Profitant du coté impulsif et colérique de l’un et de la jalousie maladive de l’autre, le scénario bien ficelé doit bientôt porter ses fruits. Sentant peut être quelque chose d’anormal, le jeune garçon montre ce soir une facette capricieuse de lui-même. Les deux adolescentes poursuivent quant à elles leurs vies parallèle sur les messageries et les réseaux sociaux, pour chacune le choc s’annonce terrible car elles sont en adoration pour leurs pères!

5/ Tentative avortée de tromper l’ennui pour une famille recomposée, renouer autour de leur plat préféré dans cette crêperie pendant que les deux papas s’amusent devant leur match de foot. C’est sûr que les crêpes ne sont pas aussi bonnes que celles de leurs mamies bretonnes. Le petit n’arrive pas à se tenir et les deux filles boudent sur leur téléphone portable. Elles auraient préféré rester tranquille dans leur chambre à tchatter voire envoyer quelques sextos à leur copain. Pour les deux mamans, c’est l’occasion de se laisser porter pendant le repas -luxe de ne pas cuisine!- en lâchant même un peu la bride aux enfants. Elles papotent avec un peu d’insouciance, c’est déjà ça. Elles doivent malgré tout écourter la soirée quand les adolescentes impatientes imposent le retour en sortant dehors.

personnages #4 | imaginer c’est voler dans le cycle vies, visages, situations, personnages de l’atelier en ligne de François Bon

Ménestrelle par amour des histoires, Jacqueline rencontra le loup des Cévennes

1/ Danseur étoile à Paris, il a un accident pendant une représentation
La démarche claudicante mais la voix décidé, il est devenu directeur d’une scène nationale.
Ce matin, il a eu le coup de foudre pour la jeune conservatrice du centre d’art contemporain.

2/ Enfant, elle rêvait d’Hollywood, la voici vendeuse chez Carrefour, ce matin son compte instagram a commencé à faire le buzz avec une photo d’elle dénudée.

3/ Né dans le Lot, un trop plein de lectures en a fait un aventurier instable. Il a bien essayé de s’arrêter encore une fois pour fonder une famille. Demain, il regardera peut être ses enfants partir pour faire le tour du monde.

4/ Amoureuse transie de Jaurès, elle milita au Parti socialiste contre vents et marées. Jeanne se distingua lors d’une grève dure dans une usine de chaussure à Marmande et fût élu par acclamation comme première secrétaire de la section du PS local. Elle mourut fusillée pendant la seconde guerre mondiale.

5/ Pierre étudia le cinéma à l’Université. Il ne devint ni cinéaste ni critique mais directeur d’une grande surface culturelle en perpétuelle restructuration. Trop de renoncements l’amènent au suicide.

6/ Elle s’est engagée très tôt dans l’armée. Florence est devenue Lieutenant-colonel à force de travail et d’abnégation. Sur le lit de sa maison de retraite, Florence regarde une photo d’elle en uniforme à coté de son fils qui pleure.

7/ Très jeune, Roland tomba amoureux de Dieu. Son entrée dans les ordres fut une formalité et il exerça tranquillement à Miramont de Guyenne pendant de nombreuses années. Quand Roland partit exercer son sacerdoce aux colonies personne ne comprit.

8/ Ménestrelle par amour des histoires, Jacqueline rencontra le loup des Cévennes lors de ses pérégrinations. Ils s’apprivoisèrent. Elle finit au bûcher pour avoir encenser le loup dans ses contes.

9/ Détestant le sport, Vincent dut aller en vélo à l’école pendant toute sa scolarité. Il est devenu contrôleur aérien et fit le tour du monde en bateau pour fêter sa retraite.

10/ Refusant tous les enfermements, Françoise a fait des études de langues pour voyager. Patronne de la plus belle agence de voyage de la capitale, elle s’envole chaque jour avec ses clients et laisse ainsi au vestiaire plusieurs heures durant son fauteuil roulant. Saura-t-elle faire le 1er pas?

11/ Ni prêtre ni marin au long cours, il enseigne l’histoire aux Antilles. Jacques n’est jamais aussi bien que quand il pêche loin des côtes, très loin, le barracuda. Devenir gourou fût sa dernière incartade avant de mourir après un repas trop arrosé.

hors série | onze fois trente-trois (Édouard Levé) dans le cycle vies, visages, situations, personnages de l’atelier en ligne de François Bon

Assis sur le rebord de la fontaine Rue du Sauvage

Une fine pluie m’a saisie alors que j’étais assis sur le rebord de la fontaine Rue du Sauvage. La jeune fille à la jupe mauve sourit en regardant le ciel, ces cheveux bruns foncés se détachèrent d’un coup sous l’effet d’une raffale. Je me suis levé pour retrouver Léa Porte Jeune. Il m’a fallu éviter cette mamie au look baba cool qui s’était agenouillée pour essuyer les lèvres de son petit fils, il venait de terminer une glace au cassis, elle semblait indifférente au flot des passants, la devanture du C&A parue elle aussi menaçante avec tous ses mannequins habillés en noir alors que le temps s’assombrissait de plus en plus, deux sœurs en jupes vertes et jaunes riaient en regardant un jeune chiot avec un nœud rose autour du cou, tout fou il leur tournait autour, la pluie rafraîchissait le visage ridé de cette indienne en sari qui se déhanchait sur des Louboutins fuchsia, un jeune homme gris et noir coupe en brosse la fixait méchamment en mettant ses mains sur les yeux de sa fille sage dans sa robe rouge, trois blacks look sportswear passèrent si vite dansant avec nonchalance qu’on entendait à peine le morceau de hip hop sortant du téléphone, le ghetto blaster me manquait presque quand je me retournais vers eux, ils étaient trop grand, on aurait dis qu’ils survolaient la foule, tels des danseurs au prise avec l’orage qui venait, un quatuor de jeunes algériennes assises sur les bancs publics au milieu de la rue se montraient leurs achats du jour, une jupe très longue, un sweat flashy, une bague énorme avec une pierre verte, comme si de rien était sous la pluie, leurs commentaires emplissaient la rue, la vendeuse de la boulangerie industrielle proche haussait sans arrêt les sourcils et ne ménageait pas ses réflexions racistes auprès des quelques clients qu’elle savait acquis à sa cause, d’autres se levaient dans un geste désapprobateur et sortaient précipitamment malgré la pluie et le vent de plus en plus fort, je pressais mon pas, un jeune mormon se mit à courir avec son costume noir en direction d’un café américain, je me décidais à ouvrir mon parapluie face aux bourrasques d’eau, trois collégiens essayaient d’accélérer le rythme malgré leurs ponchos violets qui entravaient leur progression, j’apercevais maintenant Léa à l’entrée du cinéma, dans sa belle robe jaune citron et son gilet bleu foncé, il me fallait encore fendre la foule bouillonnante sous les averses, une petite fille avançait d’ailleurs prudemment serrant très fort contre elle son doudou chat, son autre main tenait tant bien que mal le manteau déchiré de son papi, ils progressaient chaotiquement vers l’arrêt de tram Porte Jeune, la petite fille répondit timidement à mon sourire, un grand jeune homme un peu voûté et déguisé en basketteur de la NBA me bouscula, un moment d’inattention de ma part, il marmonna quelque chose en s’éloignant, j’espère des excuses, je n’y prêta pas attention car j’allais enfin retrouver Léa pour notre film hebdomadaire.

d’après la consigne #3 Personnages dans la foule de l’atelier Vies, visages, situations, personnages de François Bon

Celle qui fût nonne et silencieuse pendant une dizaine d’années

1/ Celle qui fût nonne et silencieuse pendant une dizaine d’années, se remplissant de récits édifiants et de soupes de légumes, avant de devenir l’une des rares troubadours au féminin sévissant dans la région d’Albi sous le nom de l’annoneuse.

2/ Celle qui mourût en paysanne heureuse d’avoir labourer la terre pour des tomates, élever du vin rouge et fait grandir huit beaux garçons aux destins glorieux, l’un navigateur parcourant les océans au nom du Roi, l’autre écrivain à succès d’histoire de mousquetaires, l’autre entrepreneur dans la chaussure, l’autre agronome créant de multiples variétés de tomates plus résistantes les unes que les autres, l’autre évêque de Toulouse qui fût l’amant de la papesse Jeanne, l’autre bandit de grands chemins qui donna une grande partie de ses larcins aux pauvres, l’autre constructeur d’un grand canal en France, l’autre assistant de Champollion qui joua un rôle déterminant dans la compréhension des hiéroglyphes et le dernier fût le maître d’armes de tous les grands mousquetaires français.

3/ Celle qui fabriqua les premiers chapeaux en crêpes et fût la première femme de M. de La Pérouse

4/ Celle qui créa tous les modèles de chaussures de l’usine de Marmande.

5/ Celle qui tua le soldat allemand pendant son viol et l’enfouit sous son beau massif de fleurs admiré par tous depuis des lustres

6/ Celle qui embrassa la si belle et si troublante voyageuse de commerce, souvenir heureux d’avant son mariage

7/ Celle qui partit soigner les antillais pour fuir une famille gangrenée par le conformisme et l’importance du paraître.

8/ Celle qui fût l’amie du loup des Causses et fût brûlée comme sorcière pour cette raison.

9/ Celle qui enfanta le dernier des parfaits cathares avant de brûler lors du siège de Minerve.

10/ Celle qui fût la cuisinière, et l’amante cachée, du sixième évêque d’Albi

11/ Celle qui écrit l’histoire des mousquetaires albigeois sous un pseudonyme masculin

12/ Celle qui ne sut jamais le grand destin de son enfant abandonné.

13/ Celle qui n’eut jamais d’enfants de son mari parti explorer le monde et mort noyé

14/ Celle qui fan absolu de rugby faillit détourner l’abbé Pistre de son sacerdoce

15/ Celle qui fût la première femme secrétaire d’une section locale du Parti socialiste

16/ Celle qui fût l’institutrice de Jean Jaurès

17/ Celle qui fût l’infirmière des âmes de tout son canton avant de mourir brutalement dans un accident de voiture

18/ Celle qui fût l’élève la plus discrète de Toulouse-Lautrec et devint ensuite l’architecte de son musée.

19/ Celle qui marcha si longtemps vers le Sud pour s’enfuir qu’elle arriva sur la grand plage de Barcelone où elle s’assit épuisé, regarda l’horizon pendant des jours et quand elle se leva ce fût pour fonder le premier restaurant gastronomique français dans cette ville.

20/ Celle qui fût la première femme à rêver de devenir aviatrice

d’après la consigne #2 Une généalogie au féminin de l’atelier Vies, visages, situations, personnages de François Bon

Jouir avec Dostoïevski

Il avait oublié de fermer sa fenêtre à la tombée de la nuit la plupart du temps ce n’est pas gênant il faut vérifier si un scolopendre ou autre petite bestiole n’est pas venu se glisser dans le lit ou au pied du bureau la c’est l’invasion biannuelle des fourmis volantes il a le cerveau tétanisé les poumons se serrent la respiration devient sifflante il doit vite trouver son inhalateur il se sent envahi de partout la fenêtre se ferme sur la troupeau d’immeubles il doit maintenant réviser ses partiels l’appartement est suffisamment aéré il va dans l’autre pièce sans fenêtre où il a installé son bureau justement pour pouvoir se concentrer plus facilement il regarde le ciel bleu layette juste avant le couché de soleil à droite de son ordinateur il cherche l’inspiration pour son poème en cours d’écriture il se sent pénétré par la douceur du ciel la fraicheur du thé vert encore dans sa bouche enveloppe son matin d’hiver ce dimanche si paisible où la neige n’est pas encore tombée il sait que le cimetière se cache juste derrière l’arbre il le voit en hiver quand les feuilles sont tombées il repense à ses parents morts à quelques mois d’intervalles très vite sans signes avant coureur il ouvre les yeux en pensant à la mer caraïbes si proche qu’il pourrait presque entendre le ressac dans sa chambre il a son cours de voile cet après-midi il attend avec impatience le moment où le vent sur sa peau guidera sa navigation et les réglages de son dériveur sa respiration apaisée grâce au médicament il détruit méthodiquement les fourmis volantes et celles qui ont déjà perdues leurs ailes il sait qu’il ne pourra pas s’endormir tant qu’il ne sera pas sûr des les avoir toutes éradiquées il allume sa plaque électrique pour faire chauffer sa soupe en sachet il faut déjà nuit dehors et il se sent seul il entend vaguement le bruit des autres locataires chacun de sa chambre chacun dans sa bulle il vient de finir de relire Les Frères Karamazov il doit maintenant écrire sa dissertation dont il n’a pas encore compris le sujet il allume la télé pour regarder Nulle part ailleurs et s’amuser un peu avant de passer une partie de la nuit à écrire sur Dostoïevski enfin allongé dans son petit lit en bois il est soulagé de s’être débarrasser des fourmis il espère que le sommeil viendra vite il espère un nuit sans cauchemar soudain sans savoir d’où lui vient cette interrogation il commence à se demander pourquoi il vit pourquoi il vit ici maintenant pourquoi il est là et pas ailleurs ce matin l’arbre est nu et il ne cache plus le cimetière vide personne il n’aime pas les cimetières il y va juste pour les enterrements pour soutenir les vivants il entend passé une voiture dans la rue principale du lotissement il aime ce bruit qui augmente puis diminue sorte de parenthèse dans le joyeux silence.

Deux parallélépipèdes enchâssés l’un sur l’autre, l’un minéral et mystérieux avec ses petites meurtrières en guise de fenêtres, l’autre blanc et translucide tant il y a de baies vitrées qui reflètent les arbres, les gens, les maisons alentours, les oiseaux et le ciel. Cette grande médiathèque qui abolit les frontières intérieures et extérieures avec le dehors qui se diffracte à l’intérieur sur les alignements plus ou moins homogènes que forment d’autres parallélépipèdes que sont les livres, les CD et les DVD. Telles des ombres vivantes dans cet aquarium où sont réfugiés les histoires rêvées et savantes du monde, les femmes et le hommes sont des silhouettes floues à la recherche de leur incarnation.

Ce que je préfère, c’est le massage des vagues la nuit, aucune autre perturbation, le vent fort lui m’affole et me bouleverse en dispersant mes grains de sable à tout va, au petit matin je frissonne sous les pattes des crabes, j’essaie vainement de comprendre si leur trajet m’envoie un message, et puis je tremble à l’arrivée des voitures et des hommes qui en sortent, petits ou grands, ils n’ont de cesse de courir vers la mer, observer les pieds de tout forme me distrait un moment puis je me lasse de ces va et vient perpétuels sans autre logique que d’alterner plongeons et bronzages, le pire vient des enfants qui me triturent, me creusent ou me sculptent, je n’en peux plus des châteaux de sable et autres digues, des mots d’amour et autres kyrielles de prénoms… en revanche, j’attends avec impatience et je me passionne pour les jeux de ballons divers et variés, j’admire l’adresse et la dextérité dont je ne suis pas capable, je suis jaloux des rire et des connivences que cela créent entre joueurs, moi désespérément immobile, soumis aux aléas des courants marins et du vent, que j’aimerais pouvoir virevolter, danser, me jeter par terre, tourbillonner au sol et enchaîner figures ou cabrioles, parfois en fin de journée quand le calme revient, je me sens lourd et inutile, encore plus insignifiant que tous les rochers qui m’entourent.

Un soir d’été alanguis l’un à coté de l’autre trop chaud douceur des caresses chercher la bonne musique paresser en écoutant Bashung vertige draps froissés finir de s’embrasser chercher un peu de fraîcheur écouter la respiration de l’autre mélanger nos doigts ce petit souffle dans le cou « à l’arrière de l’auto » riff de guitare violon accordéon l’accord emporte un nouveau rêve demi-sommeil qui attend respirer le nez soudain dans les cheveux « hennir » la fraîcheur ne vient toujours pas

Il faudrait s’asseoir CHAISES je ne sais pas choisir laquelle elles sont trop nombreuses dans cette grande pièce vide sans personne CHAISES qui s’enfuient et me font peur il n’y a personne dans la grande pièce vide trop nombreuses les CHAISES je voudrais m’asseoir car je suis fatigué j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq mes pensées sont désordonnées pas comme ces CHAISES en rang et impressionnante d’immobilité je pourrais en déplacer une oui mais laquelle et cela se verrait une manque dans cet amas de CHAISES qui n’ont pas toutes la même forme certaines sont confortables et moelleuses d’autres sont carrées et dures comme du granit il faudrait s’asseoir je suis si fatigué je n’en peux plus d’avoir errer dans la ville toute la journée impatient de venir ce soir comment trouver sa place au milieu de ces CHAISES pas un bruit à peine l’écho de mon souffle affolé plutôt épuisé mon souffle à bout de souffle et mon corps rêve de CHAISES

Hypothèse n°1 – la femme à la chaise.

Le narrateur serait en train de mourir. Sa mémoire étant déjà vacillante, il se souviendrait à la fois de moments importants de sa vie mais il aurait aussi des images plus anecdotiques qui s’imposeraient sans aucune logique.

Le narrateur s’enregistrerait sur des cassettes audios pour ne pas oublier. Parfois il revient en arrière pour écouter à nouveau un des moments forts. Il aurait des larmes. Parfois il appellerait à l’aide et une infirmière viendrait le rassurer et lui donner des médicaments.

Le lecteur pourrait avoir l’impression que c’est un fou qui délire mais non il s’agit bien d’un homme de plus de 90 ans qui est au seuil de la mort. Seul. Il n’attendrait aucun visite. Il aurait juste cet enregistreur. Le narrateur aurait écris sur la paume de sa main: « méfie-toi tu es déjà mort ».

Le narrateur parlerait toujours de la même femme, son premier amour, qu’il a rencontré alors qu’elle se promenait dans la rue avec une chaise. Il la suivra jusqu’à ce qu’elle s’assoie dans un parc public. La narrateur lui aurait fait une déclaration d’amour à cette occasion.

La femme, une antillaise, lui aurait dis un flot de phrases en créole, pour finir par un défi dit en français: « si tu me retrouve en Guadeloupe, nous nous marririons. » Puis elle disparut si vite que le narrateur avait cru à un sortilège. Il aurait récupérer la chaise vide pour la ramener chez lui. Depuis le narrateur ne s’assiérait plus que sur cette chaise. Ce qui est embêtant quand il est hors de chez lui, soit il amène partout sa chaise, soit il reste debout.

Après avoir fait des économies, il serait parti en Guadeloupe avec sa chaise comme seul bagage en soute. Il aurait erré sur l’île en long et en large, il en aurait même fait le tour à la nage. Ce qui n’est pas facile avec une chaise sur le dos. Rien à faire. Introuvable. A force de marcher, le narrateur serait devenu très maigre. Il paraît que Giacometti l’a croisé lors d’un séjour en Guadeloupe et se serait inspiré de lui pour ses silhouettes qui marchent.

Un jour de canicule alors que le narrateur repassait pour la énième fois dans l’allée Dumanoir, une palme lui est tombé sur la tête et il se serait évanoui. Ce serait ce moment-là que choisis la femme à la chaise pour ré-apparaitre, lui reprendre sa chaise et lui donner un baiser qui le réveilla.

Hypothèse n°2 – La pièce de théâtre

Le narrateur viendrait de rencontrer une femme et lui ferrait des confessions sur sa vie. Il lui murmurerait des moments de son passé mais aussi des rêves qu’il aimerait accomplir ou lui raconterait à sa manière un moment passé ensemble comme leur deuxième nuit d’amour et de tendresse.

Il lui décrirait les lieux de son enfance. D’un tempérament angoissé, il lui raconterait ses angoisses existentielles. Au fur et à mesure, le lecteur découvrirait un héro tourmenté qui écrit du théâtre et qui s’allège de ses souffrances passées.

Outre les moments intimes avec sa compagne, il y aurait le récit des répétitions de la pièce qui se développerait aussi à partir des improvisations et des accidents sur scène. Le texte se terminerait par la représentation finale avec le narrateur en récitant et sa compagne en étoile filante venant dire des poèmes énigmatiques à différents moments. La pièce ferait aussi parlé des objets ou des éléments du décor y compris le sol qui serait un témoin important de l’histoire.

Hypothèse n°3 – En attendant la fin

Il s’agirait d’un écrivain en panne d’inspiration qui erre dans La Rochelle. L’écrivain observerait les passants et les immeubles notant tout azimut des idées sur un carnet rouge. En rentrant dans son appartement, l’écrivain, dans la frénésie de la marche, commencerait à écrire un texte et puis… soudain au bout de quelques minutes, il s’arrêterait comme figé.

Dans son bureau, il s’accumulerait ainsi plein de textes inachevés ou en suspend. L’écrivain essaie régulièrement d’en reprendre l’un ou l’autre en partant des notes prises sur le vif. L’un ou l’autre texte avancerait de manière laborieuse sans que l’auteur soit satisfait. Les ratures ne seraient pas rares.

L’écrivain aurait du mal à fin ses textes. Il lui arriverait aux heures des doutes les plus douloureux de vouloir tout brûler ou d’embaucher un nègre ou de plagier ses auteurs favoris.

L’écrivain finirait par prendre une drogue euphorisante dont nous tairons le nom. Grâce à elle, il terminerait son premier roman intituler « En attendant la fin » qui eut un petit succès critique auprès de chercheurs en littérature contemporaine, d’écrivains marginaux comme François Bon et d’infirmières insomniaques qui accompagnent les malades vers la mort.

Après ce livre, personne n’aura plus de nouvelles de cette auteur qui s’est volatilisé dans la nature.

Hypothèse n°4 – Jouir avec Dostoïevski

Hypnotisé par la boule à facettes et en transe à force d’avoir danser, la narratrice rêverait d’une nuit d’amour en bord de mer. Entre deux baisers, d’abord chaste puis de plus en plus intense, elle imaginerait des histoires pour son amant. Dans un premier temps, elle broderait à partir de ce qu’elle voit autour d’elle. La fatigue lui ferait beaucoup parlé de chaises, de canapés, de bancs, de lits, de hamacs, de transats, de fauteuils moelleux, de banquettes confortables et de matelas rebondis. Pendant les préliminaires, elle réciterait des poèmes connus par coeur de René Char, d’Aimé Césaire, de Lionel Ray ou de Jeanne Benameur avec sur le bout de la langue cette envie des les mélanger pour en créer de nouveaux, quelques fois ce sont des chansons de Bashung, de Nougaro ou de Souchon qui sortiraient entre deux petits râles de plaisir. A la première pénétration, elle convoquerait les classiques de la littérature Proust, Stendhal, Hugo, Hémingway, Nabokov et à l’approche de la jouissance ce sont les russes Dostoïevski, Tchekhov, Tolstoï ou Boulgakov.
Dans la phase d’apaisement, elle se rêverait navigatrice en solitaire, danseuse étoile, écrivaine à succès, chanteuse de charme ou astronaute juste avant de s’évanouir sur la piste de danse de la boite de nuit.

Je me suis redressé pour faire fuir les fantômes

Je suis né loin de tout. Je suis né dans le brouillard. J’ai gigoté et j’ai souris très vite. J’ai aimé sourire tout le temps.
J’ai grandi dans la chaleur. Je bougeais sans cesse. J’ai souris encore et encore.
J’ai entendu de nombreux silences et j’ai ri pour les combler.
Je me suis redressé pour faire fuir les fantômes.
Je mangeais tous les fruits exotiques avec appétit. Je regardais les bananiers sans savoir ce que c’était. La nuit, j’attendais que les ombres disparaissent avant de m’endormir. Je ne pleurais pas. Un jour, je me suis réveillé dans une voiture, tout devenait tangible et dangereux. Je me souvenais de tout.
J’ai marché très tôt pour assouvir ma curiosité. Je voulais voir le monde. Je voulais tout voir. J’ai tout vu et je n’ai pas tout compris. C’était trop dur à comprendre à mon jeune âge et quand j’ai grandi, je ne me souvenais plus.
J’ai joué aux billes et je gagnais souvent. Je me suis déguisé en Zorro pour sauver le monde et pour être aimer des jolies femmes. J’ai beaucoup joué au Playmobil en inventant des milliers d’histoires avec mes figurines: cow-boy, indien, Zorro, aventurier, scientifique et autres explorateurs. J’ai voulu être un héro dans tous les domaines. J’aimais m’évader très loin de cette petit île, trop petite pour ma curiosité. J’étais curieux de tout les paysages du monde et je les regardais dans les livres ou à la télévision.
J’ai fais de l’escrime pour vraiment être Zorro, celui qui gagne toutes les compétitions. J’en ai gagné quelques unes mais pas assez pour devenir un héro.
Je lisais Tintin, Spirou, Gaston Lagaffe, Luc Orient, Tif et Tondu, Alix, Blake et Mortimer… je lisais beaucoup de bande-dessinées et je voyageais. Je lisais des bibliothèques vertes ou des Signes de piste. J’aimais surtout les histoires d’espionnage, celle de Lieutenant X et la science fiction, les histoires de voyage dans le temps.
J’ai beaucoup regardé la télé, beaucoup trop. J’allumais dès que les émissions pour enfants commençaient et je restais bêtement devant. Vide. J’aimais ce vide en attendant qu’il se passe quelque chose autour.
J’ai fait de la voile pour savoir un jour partir tout seul. J’étais bon en voile. Je maitrisais le vent. Quand j’étais sur mon dériveur, tout seul, je me sentais le maître du monde. Je maîtrisais ma trajectoire, ma vitesse, mon environnement et je n’avais aucun obstacle face à moi. L’océan et le vent étaient mes amis.
Je me suis fourvoyé dans des études scientifiques. La voie royale pour réussir sa vie et avoir un travail plein d’avenir. Je n’y comprenais rien. Le monde était devenu abstrait et beaucoup trop compliqué. J’ai perdu un temps tout sens commun. Rien n’avait de sens. Alors j’ai fait du théâtre pour ne plus être timide, pour être à l’aise avec mon prochain, pour savoir quoi dire quand je rencontrerais l’âme sœur, pour comprendre certaines réactions dans mon entourage,… j’ai fait du théâtre pour enlever un peu de mystère dans le monde qui m’entourait. Je pouvais enfin être quelqu’un d’autre, être un héro, dire des mots qui n’étaient pas de moi, prendre des risques, faire des choses que je n’aurais jamais osé ou imaginé faire dans la vie. J’ai pu dire mes premiers mots d’amour sans avoir peur. Je suis tombé amoureux d’une chimère. J’ai dû fuir cet amour dévorant, toxique, j’ai quitté cette femme que j’aimais par dessus tout mais qui ne donnait rien, à personne, j’ai grandis dans cette fuite. Je suis resté longtemps comme un convalescent, spectre joyeux au milieu des vivants. J’ai eu peur d’aimer à nouveau.
Je suis devenu passeur de mots, par hasard, et j’aime ce métier de passion, de partage, de rencontres et de découverte permanente. Bibliothécaire.
J’ai participé à un atelier d’écriture dans la MJC du village d’à coté. J’ai adoré écrire des textes courts, des poèmes, des textes drôles, des nouvelles policières, des histoires fantastiques ou extravagantes. Je m’y suis fait de nouveaux amis.
J’écris des poèmes tous les jours. J’écris des textes courts pour ne plus être dans le brouillard.
J’ai lu Peter Handke et j’ai écris ce texte pour ne plus être loin de tout.

Allée de Amandiers (St Claude-Guadeloupe)

Houra! La bille a traversé la grande longueur de la grande terrasse en L qui occupe tout l’avant de la maison coté Allée de Amandiers. Le long roulement s’est terminé par un double tintement contre les grosses billes qui attendait de l’autre côté. Je me suis applaudis bruyamment. Personne à proximité pour admirer la performance. Même le chat lové sur l’une des chaises de la grande table ovale en fer forgé n’a pas bronché. Il s’enroulait toujours le dos contre le dossier en particulier les jours de forte chaleur. J’aimais l’ombre de cette terrasse balayée par les Alizées. Dès lors il y faisait toujours frais même à la saison la plus chaude. Seuls les mobylettes trafiquées perturbaient bruyamment le calme du quartier.
Entre la maison et la rue, le jardin était très étroit, la place pour une voiture et trois arbres. Le vrai jardin était à l’arrière. On pouvait jouer au foot. Nous avons même eu pendant un temps trois poules qui gambadaient dans cet espace. Une haie de petits arbustes touffus nous isolait des voisins et un grand arbre à litchi trônait dans un angle. Il nous régalait deux fois par an. Il y avait juste à coté du jardin arrière le petit garage pour notre seconde voiture, simplement quelques parpaings et un toit en tôle. J’adorais monter dessus avec mes copains pour dominer le quartier, faire du bruit avec la tôle et jouer à Tarzan dans la jungle hostile.
Quand il pleuvait, je me réfugiais dans ma petite chambre tout au fond du couloir, celle de mes parents, plus grande avec une immense armoire en bois et en miroir, était à droite et celle de ma soeur, à peine plus grande que la mienne, était au début du couloir juste après la grande salle de bain. A l’ombre du Litchi, ma chambre était assez sombre tout au long de la journée et je n’entendais aucun bruit car les voisins de ce coté-là, n’utilisaient pas leur jardin. En entrant, il y avait d’abord à gauche mon bureau pour les devoirs puis mon lit contre le mur, de l’autre coté mon armoire bleue occupaient les deux tiers du mur et puis mon coffre à jouet qui se baladait au gré de mes envies et des histoires que j’inventais avec mes Playmobils ou mes petites voitures. Au-dessus de mon lit, j’avais collé un poster des chûtes du Carbets avec des hibiscus au premier plan. Parfois, je jouais aux billes dans le couloir des chambres, ce qui avait le don d’agacer tout le monde. Le roulement et le choc entre les billes y étaient amplifiés de manière incroyable. Même avec la petite lumière de chevet, j’avais souvent du mal à m’endormir à cause des ombres du jardin qui se reflétaient sur ma fenêtre. Il n’y avait pas de volet et le matin, je me couvrais les yeux avec mon doudou pour éviter que la lumière ne me réveille. Plusieurs fois par grand vent j’avais eu l’impression que les arbres du voisin allaient finir par tomber dans ma chambre.
La salle de bain était jaune avec un petit lavabo mais une grande baignoire-douche. Aucun meuble, juste une étagère avec tous les produits, les brosses à dents, le rasoir et le blaireau de mon père, quelques patères et portes serviettes. La machine à laver était dans un angle. Entre raclement et feulements aigus, elle faisait un bruit infernal pendant l’essorage… aucun bricolage ou réparation ne sont parvenus à enrayer cette présence démoniaque. Une grande fenêtre donnait sur le jardin de derrière. Je passais des heures dans la baignoire avec de l’eau très chaude et quelques Playmobils. En coulant, ils faisaient un glouglou réjouissant.
Proche du salon – salle à manger et de la terrasse, la cuisine était peinte en blanc, carrée, sobre et efficace. Pas de décoration ni autres fioritures. On y trouvait un très grand frigo, le congélateur, au ronronnement apaisant, était toujours plein de glaces, une gazinière, deux petits meubles, un pour les casseroles et tupperwares, un pour les conserves et autres denrées non périssables et un grand évier blanc. Les poubelles n’étaient pas loin au pied de l’escalier coté jardin.
Le salon – salle à manger occupait la moitié de la maison avec une table ronde dans un angle et un canapé en rotin dans le coin opposé juste face à la télévision. Une grande table basse en rotin séparait le canapé de la télévision. Quand des amis étaient là pour l’apéro, je frémissais au crissement du rotin lorsque les uns et les autres se tortillaient sur le canapé. Le tintement des verres amenait un peu de joie dans cette pièce trop sage. Près de la table ronde trônait le bahut familial remplit à ras bord de vaisselle. Je n’avais pas le droit d’y toucher de peur que je casse l’héritage familial. Dessus, il y avait un pot de fleur souvent vide et deux coquillages de Lambis qui avaient des reflets inquiétant la nuit tombé.

Murs en parpaing

Quand je sors de la voie rapide, il y a d’abord mur qui protège la piste cyclable, des jardins ouvriers avec leurs petits chalets derrière un grillage, l’extrémité du terrain de foot lui aussi derrière un grillage, un bosquet d’herbes folles et d’arbustes sur un talus qui cache le reste du terrain de sport municipal, puis un mur en parpaing brut de 96 mètres sur 5 mètres de hauteur avec au tout début un panneau route prioritaire et virage à angle droit. Jusqu’au mur, il y a régulièrement de grosses pierres pour éviter que des véhicules puissent se garer dans ce virage. Sur la crête du mur de parpaing, tout le long, on voit des bouts de ferraille proprement découpés qui supportaient des fils barbelés. Le mur gris n’est pas parfaitement lisse. Une petite dizaine de parpaing à différents endroits dépasse de quelques millimètres créant ainsi des aspérités. Je peux voir des traces de gravillons ou de souillure de terre par-ci par-là. Le mortier à légèrement coulé au début à peu près à la moitié de la hauteur. Un moment de distraction des ouvriers? Sinon le mur ne s’effrite pas et il est presque propre tout le long, sauf une petite coulure noire au milieu sous un morceau de ferraille. Pas de traces de pollution non plus. Seule la rangée la plus près du sol est plus foncée et donne l’impression d’être recouverte d’une couche de gras. Les stries du parpaing défient les intempéries et les petits espaces de verdure à proximité. Une telle beauté gris brut et immuable force l’admiration. De ma voiture, je peux apercevoir une série de graffitis, le mot JOKE très stylisé, un mot de 4 lettres indéchiffrable avec la signature AMG, 5 lettres cachées dans deux triangles et trois ronds, une tache rouge informe avec autour de paumes de main rouge très effacées et à la fin, tout près du portail, trois mots rapprochés mais très délavés, BARRO deux fois et un mot de 5 ou 6 lettres incompréhensibles. Il faut dire que le trottoir large d’à peine 1 mètre de large ne permet pas aux artistes de s’exprimer en toute sérénité d’autant que la rue est très passante, des centaines de voitures tout au long de la journée, quelques camions venant livrer les entreprises alentour, et la nuit des dizaines de voiture circulent à vive allure quand il y a moins de circulation. En plus ce mur est à proximité d’une voie rapide et les graffeurs risquent d’être surpris à tout moment par l’arrivée de la police sans possibilité de s’échapper. Derrière le mur, c’est une médiathèque comme l’indique l’enseigne posée après le mur. Cela ne donne pas trop envie d’aller voir. En face du mur, de l’autre coté de la route, se trouve le magasin d’une chaine qui vend tout et rien à bas prix, un bazar qui solde en permanence.

il ouvre les yeux en pensant à la mer caraïbes si proche

Il avait oublié de fermer sa fenêtre à la tombée de la nuit la plupart du temps ce n’est pas gênant il faut vérifier si un scolopendre ou autre petite bestiole n’est pas venu se glisser dans le lit ou au pied du bureau la c’est l’invasion biannuelle des fourmis volantes il a le cerveau tétanisé les poumons se serrent la respiration devient sifflante il doit vite trouver son inhalateur il se sent envahi de partout la fenêtre se ferme sur la troupeau d’immeubles il doit maintenant réviser ses partiels l’appartement est suffisamment aéré il va dans l’autre pièce sans fenêtre où il a installé son bureau justement pour pouvoir se concentrer plus facilement il regarde le ciel bleu layette juste avant le couché de soleil à droite de son ordinateur il cherche l’inspiration pour son poème en cours d’écriture il se sent pénétré par la douceur du ciel la fraicheur du thé vert encore dans sa bouche enveloppe son matin d’hiver ce dimanche si paisible où la neige n’est pas encore tombée il sait que le cimetière se cache juste derrière l’arbre il le voit en hiver quand les feuilles sont tombées il repense à ses parents morts à quelques mois d’intervalles très vite sans signes avant coureur il ouvre les yeux en pensant à la mer caraïbes si proche qu’il pourrait presque entendre le ressac dans sa chambre il a son cours de voile cet après-midi il attend avec impatience le moment où le vent sur sa peau guidera sa navigation et les réglages de son dériveur sa respiration apaisée grâce au médicament il détruit méthodiquement les fourmis volantes et celles qui ont déjà perdues leurs ailes il sait qu’il ne pourra pas s’endormir tant qu’il ne sera pas sûr des les avoir toutes éradiquées il allume sa plaque électrique pour faire chauffer sa soupe en sachet il faut déjà nuit dehors et il se sent seul il entend vaguement le bruit des autres locataires chacun de sa chambre chacun dans sa bulle il vient de finir de relire Les Frères Karamazov il doit maintenant écrire sa dissertation dont il n’a pas encore compris le sujet il allume la télé pour regarder Nulle part ailleurs et s’amuser un peu avant de passer une partie de la nuit à écrire sur Dostoïevski enfin allongé dans son petit lit en bois il est soulagé de s’être débarrasser des fourmis il espère que le sommeil viendra vite il espère un nuit sans cauchemar soudain sans savoir d’où lui vient cette interrogation il commence à se demander pourquoi il vit pourquoi il vit ici maintenant pourquoi il est là et pas ailleurs ce matin l’arbre est nu et il ne cache plus le cimetière vide personne il n’aime pas les cimetières il y va juste pour les enterrements pour soutenir les vivants il entend passé une voiture dans la rue principale du lotissement il aime ce bruit qui augmente puis diminue sorte de parenthèse dans le joyeux silence