Le rêveur sur le banc

banc métallique devant une haie

Quand la bise d’été vient, le rêveur s’installe sur le banc près du frangipanier. Il pose sa main sur la terre du pot, les fleurs blanches semblent surgir de nulle part avec leur parfum. Quelques phrases se déposent sur le petit carnet à la couverture ocre. Lisser le banc. Attendre le point du jour en fixant les feuilles qui dodelinent, tentative de séduction, face aux nuages indifférents qui passent et repassent un ciel sans plis. Attendre le chat qui viendra se faire caresser quelques minutes à l’ombre du réverbère. Les fleurs blanches auront disparu comme effrayées par la jour. Attendre que la haie se taise à l’arrivée des rayons du soleil. Ce silence du matin. Finir son thé au gingembre avant de se lever pour laisser son ombre dormir tranquille.

(5 mai 2019)

Tonnerre de cuivre

cors de chasse

La salle vibre de toutes ses notes. Le tonnerre des cuivres s’enfonce jusqu’au dernier rang. La voix de la chanteuse s’apprête à saisir le cœur du public. Le chef d’orchestre sourit sérieusement devant la perfection des enchaînements et le silence des spectateurs est éloquent. Je répète encore dans ma tête le passage qui m’incombe. J’imagine les notes qui s’entortillent autour du cor. Le rythme s’accélère. Je sens l’instrument qui frémit. J’harmonise ma respiration avec le tempo de l’orchestre. Je prends mon souffle, je pose ma bouche et je lance cette note jaune qui va surprendre tout le monde.

Art postal: qui êtes-vous?

collage textes et visage sur le thème du japon

Il y a le choc de la catastrophe. Tout est démoli. Je me réveille et j’erre dans les ruines du raz de marée. Le plus effrayant est d’être seule. Personne à qui parler. Dans les décombres, je vois les restes d’un téléphone. J’aimerais avoir quelqu’un à rassurer, un ami à appeler, un patron à prévenir. En même temps, cette solitude me rend plus légère face à la destruction du monde qui m’entoure. Je n’ai plus aucun repère face à ce paysage bouleversé. Une joie étrange m’envahit et je marche avec une intensité accrue dans mon regard. J’attends le changement. Après plusieurs heures d’errance dans un état de fatigue extrême, je rencontre un homme qui me demande : « Qui êtes-vous ? ». Je réponds : « Votre prochain amour. »

(création d’Isartpostal)

Des murs qui parlent

Murs avec texte, papier peint et objets

C’est ici que le poète pesait les âmes de ses compagnons d’enfermement. Sa cellule était couverte de textes, du délire au poème en passant par les recettes de cuisine. Au détour de ce palimpseste infini, on pouvait lire – paraît-il, car les autorités ont fait repeindre la cellule à la hâte –le nom des compagnons exécutés ou « disparus ». Les morceaux joués par l’orchestre de la prison figuraient aussi, toujours du classique. Le poète écrivait tard dans la nuit, même quand la lumière avait été éteinte. Et puis, quand le grattement du poète contre le mur s’est arrêté, ils ont su que la catastrophe était proche. Tout le monde a été libéré et ils se sont retrouvés dehors, perdus, face à un monde incompréhensible. Ils n’avaient plus de mémoire. Sans le poète, ils ne savaient plus qui ils étaient. Ils avaient perdu le sourire. Les compagnons d’infortune du poète eurent beaucoup de mal à se disperser et bien plus tard ils sont venus tous les ans visiter la prison-musée.

des murs qui parlent

C’est ici que le poète pesait les âmes de ses compagnons d’enfermement. Sa cellule était couverte de textes, du délire au poème en passant par les recettes de cuisine. Au détour de ce palimpseste infini, on pouvait lire – paraît-il, car les autorités ont fait repeindre la cellule à la hâte –le nom des compagnons exécutés ou « disparus ». Les morceaux joués par l’orchestre de la prison figuraient aussi, toujours du classique. Le poète écrivait tard dans la nuit, même quand la lumière avait été éteinte. Et puis, quand le grattement du poète contre le mur s’est arrêté, ils ont su que la catastrophe était proche. Tout le monde a été libéré et ils se sont retrouvés dehors, perdus, face à un monde incompréhensible. Ils n’avaient plus de mémoire. Sans le poète, ils ne savaient plus qui ils étaient. Ils avaient perdu le sourire. Les compagnons d’infortune du poète eurent beaucoup de mal à se disperser. Ils reviennent tous les ans visiter la prison-musée.

à partir de la création d’art-postal visible ici

Perdu dans Amsterdam

collage sur une carte d'Amsterdam

Roger aime voyager par procuration. Il s’assied devant son ordinateur et utilise Google Street View, ce service qui permet de se promener dans les rues de beaucoup de villes dans le monde grâce à des prises de vues à 360° faites depuis une voiture.

Dès que je prononce le nom d’une ville, soit entendue à la radio lors d’une émission, soit comme lieu de vacances potentielles – cela ne rate jamais – Roger fait sa visite virtuelle et m’envoie une carte bricolée par ses soins.

Il faut dire que Roger est amoureux de moi. Ses cartes sont des puzzles, des énigmes à décrypter. J’ai tout essayé : rébus, codes secrets à partir des noms de rue, construire des phrases à partir des images, comme par exemple, « aller à l’église située entre la montgolfière et l’arbre », les prédictions de Nostradamus, le marc de café… tout ! Rien à faire ! Impossible à comprendre.

Quand je donnais ma langue au chat, Roger s’énervait, et allait bouder. Il est encore plus beau quand il boude.

Avant de partir à Amsterdam, j’ai reçu cette carte, avec pour la première fois, un personnage, certes triste, mais bien présent. Ce fut le déclic, j’ai décider de l’emmener avec moi. Il a été heureux tout au long du séjour.

Un jour, avec un grand sourire, Roger m’a montré l’endroit d’où devait partir la montgolfière de sa carte. J’étais contente de le voir ainsi.

Dommage que Roger soit autiste, sinon, je me marierais bien avec lui.

(image seule aussi sur isartpostal)

Je suis

Cela fait longtemps que tu es parti et toutes ces lettres ne suffisent plus. Tu me manques. Cette fois je voulais t’envoyer autre chose que des mots. J’ai demandé à Ali de faire ce dessin de moi aujourd’hui. Il est trop fort, on dirait presque une photo. Qu’en penses-tu. ?

J’essaie de ne pas grandir trop vite en attendant que tu rentres. Pourquoi es-tu parti si loin pour gagner ta vie ? Tu me manques. Ta voix qui me raconte des histoires le soir me  manque. Ton petit bisou et tes chatouilles  du matin pour me réveiller aussi !

Les copains se moquent de moi. Des fois, ils disent que tu fais des choses dégradantes pour gagner ta vie. Des fois, ils disent que je suis orpheline et que je refuse de l’accepter. Je suis trop petite pour leur faire du mal mais je te promets que je leur tape dessus de toute mes forces. Quand je serai plus grande, ils n’oseront plus me dire de telles bêtises.

Tu me manques. Reviens vite ! Tu me prendras dans tes bras comme avant et ils seront jaloux comme des poux. On doit encore changer de camp à cause de la guerre mais je fais comme dans l’histoire que tu m’as racontée une fois : je sème des cailloux entre chaque étape.

Tu me manques, alors, reviens très vite de ton pays d’en haut, du nord où tu as froid. J’aimerais bien que tu m’envoies aussi une photo ou un dessin de toi là où tu vis maintenant. J’ai du mal à imaginer malgré les livres de la bibliothèque.

L’instituteur dit que j’apprends bien et j’espère que tu le vois dans ma lettre.

Cela fait longtemps. Ecris-moi vite, Tu me manques. Grosses grosses bises.

Ta fille

D’après enveloppe « Je suis… » envoyé à Isartpostal