Histoire urbaine

Je ne veux pas disparaitre comme ces silhouettes qui passent (et trépassent?) devant mes yeux. Je marche, j’attends et je cherche une expression, un visage, un corps qui désire de la couleur. L’exubérance architecturale me fait plus vibrer que le pas pressé des passants. Je photographie discrètement à la volée dès que j’entends le cri de la ville.

J’aime ce temps suspendu où tout parait si limpide. La photo a capturé ce moment intime où je fais une rencontre avec la ville, avec quelqu’un, avec moi-même.  La fille au sac blanc cherchait son chemin. On s’est croisé. Elle arrivait et cherchait à mieux connaitre la ville. Son téléphone portable la reliait à son ancienne vie. La fille au sac blanc ne connaissait personne ici.

J’existais, je n’étais plus un corps errant, j’étais une âme joyeuse qui gambadait. Son visage avait changé. Enfin elle regardait la ville. Nous marchions comme deux étrangers visitant la ville, juste de passage et cherchant à enregistrer pour longtemps les moindres détails. Nous profitions de ces instants étranges où nous faisions connaissance.

Légers et euphoriques, nous avons pris de la hauteur. Vertige ou confiance, la femme au sac blanc m’a pris le bras quand nous sommes arrivés tout en haut. Immense et coloré, l’horizon nous rapprochait. Elle versa quelques larmes en posant sa tête sur mon épaule.

« Pourquoi, il faut partir? » a-t-elle murmuré.

Hormis le brouhaha de la ville, aucun bruit pendant de longues minutes. J’étais ému et désemparé au-delà de ce que j’aurais cru. Ce baiser a scellé un nouveau charme entre nous. Il y avait une harmonie dans l’air, une paix intense et impalpable entre nos corps noués. J’ai posé l’appareil photo qui nous a doucement saisi ensemble face à la ville, ombres contre couleurs.

Comme dans un conte, la journée s’est terminée dans ce restaurant fait d’alcôves intimes avec vue sur la rue et rue qui a vu sur nous. Ces balbutiements en public donnait une impression de sécurité à nos sentiments naissants alors que la salle nous isolait du reste du monde. Les ballets extérieurs et intérieurs étaient à peine un décor tant nous étions dans cette écoute sensuelle de l’autre. La façade du restaurant se mua peu à peu en calligraphie faite de mouvements abstraits où les voix s’effaçaient peu à peu. Le cercle des mots s’est refermé sur nos corps dans l’attente d’un plus tard. De tous les compliments, il ne me reste que ce haïku prononcé juste avant le silence du dessert.

« Repas en noir
pour l’ivresse
de tes lèvres en couleur »

Ce jour-là, j’ai perdu mon appareil photo.

d’après le photoblog Digital Guff, inspiré des photos: Street Photography Osaka: Shinsaibashi ; Over Kobe 4 ; Human Bento

Visages

Entre deux visages j’avais envie de reprendre forme, de savoir à quoi je ressemblais au milieu de ce maelstrom d’idées, noir ou blanc, la flamme de mon cerveau recherche son unité, le chemin non-ingrat des mots qui s’écrivent presque sans y penser, croire en la couleur d’une phrase qui vous plait à jamais.

d’après le photoblog More Reveries, inspiré de la photo Hello

Micro-fictions

1/ Marcher dans la rue

Comme le dit la chanson, je marche seul et anonyme dans cette grande ville. Mes pas appuient sans cesse sur le macadam et je marche au hasard. Les panneaux des rues guident à peine mon chemin. C’est dimanche et les passants s’enfuient eux aussi décidés et pressés vers des lieux précis. Les magasins sont fermés et les rues trop propres. On pourrait se croire dans un rêve. Je croise un homme mal fagoté qui parle seul, comme s’il s’engueulait avec sa femme. Un chien me fait sursauter en me dépassant comme un dératé. Au premier étage d’un immeuble, j’entends la mélodie mal assurée d’un piano. Soudain au détour d’une rue, la foule est là, écoutant au milieu d’une place un groupe de musique.

2/ Dépression commerciale

Une jeune femme seule traîne les pieds d’une boutique à l’autre. Le centre commercial semble une vaine distraction à sa légère tristesse. Sa chevelure cuivrée et son port altier intriguent tout autant qu’ils dissuadent les regards. J’attrape au vol les murmures d’un vieux: « si jeune et déjà fatiguée de vivre ». Il s’en suit une détonation. Tout le monde est saisis d’immobilité pendant une fraction de seconde. Chacun se fait son film pendant ce bref laps de temps: attaque à main armé, attentat,… Le vieux et moi nous regardons en pensant la même chose: suicide? Non, un énorme pétard qui a fait résonner son écho dans les méandres du centre. Quant à notre jeune femme, elle a disparu…

3/ Étrange fin de journée

Je quitte le travail plein de projets. La journée pleine de contrariétés aurait dû m’alerter. J’entends la sirène du SAMU. La circulation fuse autour de mon vélo. Je passe à côté d’une femme hurlant contre son enfant qui se débat. vlam, vlam,… vlam, vlam, le train me double à grande vitesse sans crier gare. L’ambiance de cette fin de journée ne me plaît pas du tout. La lumière si belle de ce coucher de soleil cligne soudain comme une fin du monde, contraste trop paisible avec la tension perceptible dans les rues. D’autres sirènes retentissent, la police et les pompiers, peut-être une autre ambulance. Dans lesembouteillages du soir, le calme n’est qu’une façade fragile, inquiétante. J’aimerais être déjà rentré et avoir échappé aux risques de cette étrange fin de journée.

Micro-fictions

1/ La confiture

La confiture bouillonne dans le chaudron. Je perds la notion du temps avec cette météo uniformément pluvieuse. Je suis enfermée dans la gangrène poisseuse de cette maison vieillissante. Plus goût à rien. Je pourrais laisser s’embraser la mixture de fruits et de sucre s’il n’y avait cette petite musique. A peine audible. Je cherche sans relâche à la situer. C’est le mystère qui me tient encore debout.

2/ « Si j’avais su… « 
Elle marche avec sa meilleure amie dans le parc. Ses bras moulinant dans tous les sens trahissent un énervement, une colère, un désarroi,…? Son amie écoute, tantôt hochant la tête affirmativement, tantôt figeant sa tête dans une expression de réprobation, tantôt levant les yeux au ciel, tantôt faisant la moue,… parfois cherchant vainement à placer une phrase… Les joggeurs à contre-courant sont obligés de contourner les deux importunes enfermées dans leur bulle. Les mains décrivent et dénombrent sans que cela puisse être compréhensible. La tension monte avec des mots méchants qui volent à droite et à gauche. Certains coureurs arborent une mine réprobatrice. Quand elles passent près de moi, l’agitée semble effondrée et déclame péremptoire: « si j’avais su, j’aurais fait autrement »

3/ L’exposition
Me voici à nouveau en train de déambuler dans une exposition photo. C’est pour lui faire plaisir. Je déambule en souriant plus attentif aux visiteurs qu’aux images. Je supporte ce moment d’ennui en la voyant détailler chaque photo et lire les explications parsemées dans les salles. Je me distrais en écoutant les conversations savantes ou banales et en observant les tenues vestimentaires. Vers la fin, je me décide à jeter un oeil afin de pouvoir dire deux ou trois phrases bien senties à la sortie et aussi à nos amis communs. Soudain une photo me glace. Je pourrais être de papier, ce papier, dans cette image.

micro-fictions

1/ C’est dimanche.

C’est dimanche! La radio crépite sa musique au lieu des habituelles informations. Germaine découvre parfois de nouveaux airs de classique. Perdue dans ses pensées musicales, elle laisse refroidir son bol de café posé tristement sur le napperon du dimanche. Qu’importe! Elle goûte le calme d’une rue vidée de ses voitures. Germaine aère sa chambre à coucher. Chouette! Pas de ménage aujourd’hui. Elle laissera sa couette toute la journée sur le rebord de la fenêtre. De loin, on a l’impression d’un balcon fleurie. Germaine fait minutieusement sa toilette et s’habille avec son tailleur clair. Chic! Elle adore être chic. Elle se parfume et vérifie son chignon avant de sortir. Aujourd’hui sa promenade sera différente, elle passera devant l’église qu’elle évite soigneusement tous les jours, pour se rendre à la Mairie. Germaine en rate jamais une élection même si elle ne comprend plus très bien la politique. Depuis plusieurs années, elle applique la même méthode: elle fixe intensément les photographies de chaque candidat ou candidate. Elle cherche celui ou celle qui lui paraît le plus franc et le plus honnête, quand elle n’arrive pas à se décider elle vote blanc. Devant la Mairie, elle a un petit coup de fatigue cette fois. Germaine s’assoie sur le banc et regarde passer les gens, les voitures, les oiseaux, les enfants et les nuages. C’est dimanche et pourtant tout semble si différent et soudain si pesant.

2/ 320 km/heure

Doucement plaqué contre le siège, je sens l’accélération. Le TGV Est fonce sans décoller. C’est mon premier voyage en train. Je devrais faire un voeu. C’est la première fois que je quitte l’Alsace. Je devrais faire un voeu. Je n’ai pas le coeur à faire des voeux. Je pars me soigner à la capitale. Mes yeux vivant s’imprègne des multiples reflets des paysages qui passent très vite, trop vite, comme la vie… Je découvre un ailleurs incertain, comme ma vie. Deux petits enfants sautent sur leur siège, cours dans les allés, dessinent trente seconde, avalent leursmarties et font une bise à leur père. Indifférents à la vitesse et à ce qui les entoure, les enfants sont tout à leur bouillonnement vital. Mon frère vit à Paris depuis qu’on s’est fâché après la guerre. On ne supportait pas de voir en l’autre notre propre lâcheté. Je ne sais pas quelle peur sera la plus forte, celle de son rejet, celle de mourir sans lui avoir parlé.

Micro-fictions

1/ Premier coup de soleil de l’année

Brisé dans mon élan laborieux par le franc beau temps d’aujourd’hui, je me suis assise sur un banc face au Rhône. Les gens marchaient très vite comme des animaux fuyants quelque menace. Les voitures s’affolaient sur le boulevard, qui à la recherche d’une place, qui pressés de quitter ses lieux, qui emporté par le courant. Le soleil piquait chaque pore de ma peau, réveillant une délicieuse sensation de farniente. Mes yeux se fermaient. J’imaginais la plage avec lesploufs , les bruits de raquettes, les cris d’enfants, les pages de livres effeuillés, le craquement des petits lus ou alors le pont d’un bateau avec le vent, le tintement des fils, l’écho léger du ressac, les conversations feutrées, les ronflements et lesslurps de café bien chaud. Les bruits de Lyon devenaient lointain. Tout ce que je devais faire de manière indispensable devenait soudain idiot. Vain! Mon corps s’engourdissait sous les rayons du soleil. Enfin, je pouvais me laisser aller. Ne plus lutter. Tout ces efforts n’ont plus de sens. Attendre jusqu’à sentir la brûlure du coup de soleil. Pouvoir regarder à nouveau dans la glace son visage rouge sans penser aux conséquences.

2/Frénésie d’achats
Journée de l’emmerdement maximum: l’ordi qui plante, la collègue malade, que des super urg. pour avant-hier et même before, le boss infect et les gamins grognons… C’est la pause de midi et j’ai décidé de décompress un max… Je fonce faire du shopping. Mes yeux clignotent de pleasure devant ces étalages de bijoux, de fringues et de bouffe. Je commence par un maxi-burgeur frites et pleins de sauces sucrées puis un glace hagen… Ce collier est trop top! Il brillera extra sur ma peau bronzé de miel. Je louche et craque pour ce cache coeur abricot, trop tendance dans lewind. J’essaie un pantacourt qui valdingue sur la vendeuse qui se fout de ma gueule en insistant alors que je vois bien qu’il me boudine. Mais alors cette robe en lin et froufrous dans tous les sens me colle sensuellement au bonbon. Voilà de quoi faire enrager lescops. J’apprécie déjà dans la boutique le regard des mecs. Woah! Je suis reboosté à donf. Quand je back au bureau, il y a tout un patacaisse de pompiers et de gens agglutinés. L’immeuble du boulot y burn… cash! Bien fait pour le boss… A force de speeder les gens, y font de conneries… J’espère qu’ça va remettre les swatchs à l’heure… Il était pas d’dans au moins?

3/Les Aigles

Ils sont beaux les aigles. Maman secoue machinalement la tête. Elle choisit un melon. Elle m’a déjà expliqué que c’est important de bien choisir ses fruits et ses légumes. Il faut faire en fonction de la vue, du toucher, de l’odeur -l’idéal serait de pouvoir gouter mais c’est interdit à ce qu’il paraît- et de quand on veut les manger. Elle parle comme la maitresse dans ce cas-là , ma maman. Je comprends pas tout mais je hoche la tête pour pas la fâcher, comme avec la maitresse. Pendant que Maman se concentre sur les melons, moi je fixe les aigles. Le dresseur m’a vite repéré et me fait signe de ne pas bouger. Il pose l’aigle sur son gant, me désigne et projette son bras vers moi. L’oiseau prend son envol avec une lente détermination vers sa proie. Maman se tourne vers moi pour dire quelque chose… aperçoit l’aigle… crie… fonce entre lui et moi avec des bras comme fous… l’oiseau dévie et monte vers le ciel. Je regarde l’oiseau qui vole loin, très haut, disparaître. Maman me serre dans ses bras en tremblant. J’ai pas tout compris. Maman non plus. Elle ne sait pas que je suis partie avec l’aigle, loin, très haut, mais je ne sais pas comment disparaître. J’aimerais apprendre. Je demanderais à la maitresse. Cela sera ma première question. Elle sera contente la maitresse qui se plaint sans arrêt que je ne dis jamais rien. Vivement demain.

micro-fictions 3

1/ Chez le dentiste

Impossible de tenir en place. J’imagine ce que le dentiste est en train de faire à la jolie jeune fille avant moi. Elle n’est restée que quelques instants mais j’ai aimé sa mèche en bataille devant son visage penché sur une revue people. Elle était calme et souriait dans sa lecture. Puis l’assistante est venue la chercher. Son mouvement était léger et gracieux comme un oiseau qui s’envole. Je n’arrive pas à me concentrer ni sur Les Bienveillantes -que je dois absolument finir pour donner mon avis à mon beau-père- ni sur les hebdomadaires d’informations ni sur les magazines féminins. Je pense à ce boucher qui doit lui charcuter la bouche. J’ai mal pour elle, j’ai déjà mal pour moi. En plus, c’est long. J’entends d’ici le bruit de la fraise. Je sens que je vais me sentir mal. Le temps passe. Je regarde la pluie par la fenêtre. J’en ai marre. Je vais partir. J’ai trop peur. Je me lève. La porte s’ouvre. L’assistante entre accompagnée de la jeune fille en tenue d’assistante. « Désolé pour ce petit retard, le docteur et moi devions présenter le cabinet à notre nouvelle stagiaire. Nous sommes tout à vous maintenant. »

2/ Concert improvisé

Je suis bien assis. La guitare commence sur fond léger de batterie. Je regarde la basse se préparer en suivant la partition. La trompette détourne mon regard et emballe le morceau suivi de près par les cymbales. Le thème s’installe quelques mesures avant de commencer à se déconstruire. Le bassiste frotte et triture ses cordes grinçant une tension sourde à ce moment musical. La batterie se met à hésiter entre deux rythmes alors que la trompette s’étouffe. On se croirait en plein polar avec la guitare qui s’acharne sur deux accords. Silence. Puis la trompette reprend crescendo s’essoufflant toute seule. Tout doucement les autres instruments replacent le thème qui s’amplifie pour faire gronder les voûtes de ce petit caveau. Tout repars en vrille jusqu’à l’assassinat en règle par une batterie tenace et démultiplié. Silence. Je me lève après les applaudissements pour annoncer le titre: « mort du chanteur de jazz ».

3/ Mamie voyage

– Je vais être en retard. Ne m’attendez pas.
-…
– C’est la SNCF qui fait des siennes.
– …
– Cette fois-ci… et bien, ils n’ont pas trop précisé… si… c’est la locomotive qui est en panne.
-…
– Comme tu dis, je n’ai pas de chance. A chaque fois cela tombe sur moi!
– …
– Oui, je vais dormir à Lyon pour attendre ma correspondance de demain matin.
– …
– Non, ce n’est pas la peine que tu rappelles. Je vais me débrouiller. Non! J’ai l’habitude… puisque je te dis NON!
– …
– Excuse-moi, c’est l’énervement du retard… Tu trouves que c’est bruyant pour un train… comme un restaurant… et…bien… c’est la solidarité entre retardataires… La SNCF a distribué un casse-croûte et des boissons, cela discute dans une bonne ambiance… oui avec du vin, d’où le bruit de bouchon… la musique, un téléphone qui joue… un air de classique… tout le monde n’écoute pas du rap ou de la techno… écoutes, je te laisse, je n’ai plus beaucoup de batterie… c’est cela à demain.
– Il va falloir trouver une autre excuse pour la prochaine fois, mon amour. La SNCF a bon dos. A la tienne!

micro-fictions

1/ Indigestion

Dans la joie presque dansante de l’apéritif, je bois et je picore. Je parle et j’écoute. Les convives virevoltent. Je souris d’aise. Mes pensées vagabondent ici ou là. Mes yeux parcourent rieur l’assemblée. Le soulagement est sensible quand lesfêtards s’attablent. Les conversations se font feutrées et intimes. Le bruit des couverts est à peine perceptible. Les enfants tournent sans cesse les yeux vers la scène sans musiciens et l’étalage de cadeaux. J’empile les entrées et les plats principaux ne me résistent pas. Le buffet de fromage est un délice. J’engouffre les desserts plus par gourmandise que par appétit. La fatigue arrive soudain. L’alcool fait son effet. J’ai mal au ventre. Mon crâne devient lourd et brumeux. Encore une fois, je suis bon pour une digestion longue et pénible.

2/ Le café

Je tapote en rythme sur la table ronde du café. La tasse est à moitié vide. J’attends. Le livre de poche est posé avec le marque page qui dépasse. J’hésite. La lecture au milieu de toute cette agitation est un voyage plus doux que seul à la maison. J’ai l’impression de vivre deux vies en même temps. L’intensité du bar et des ses clients, la vibration des aventures du livres. Je ne lis que des histoires rocambolesques, de la science-fiction ou des romans d’aventures. Je suis le héros qui sauve tout le monde et brille de mille éclats. Seulement, j’attends que le café se remplisse. Pour l’instant c’est bien trop calme et cela gâche le plaisir de la lecture. Je ne comprends pas, d’habitude. La une du journal me rappelle soudain qu’aujourd’hui c’est férié.

3/ Amours métropolitains

Ils s’embrassent sans que les passages incessants du métro ne les troublent. A 8h00 du matin, ils prolongent la joie nocturne. Le couple frémit d’aise de voir le regard intrigué des passants courant après le métro. Ils ont l’allure d’un couple adultérin se faisant de dernières papouilles avant de retrouver la banalité du quotidien. Il est vrai que l’état de grâce dure. C’est sûrement parce qu’ils forment un couple recomposé. Ils dégustent leur amour avec le goût de l’expérience. Ils s’admirent sans illusions. Ils s’acceptent mutuellement mais sans concession. Depuis plus d’un an, le couple joue ce petit théâtre de leur bonheur donnant une raison d’y croire à une adolescente dont les parents se haïssent silencieusement.

micro-fictions

1/ La gare
J’attends devant le panneau d’affichage. Le brouhaha du retard résonne autour de moi. La foule est tendue d’impatience. Le ballet des hommes-valises s’est suspendu plein de menaces. Une petite fille rieuse serpente avec sa poupée, chatouillant les pantalons, les robes, les bagages et les murs. Elle sarabande une petite danse avec sa poupée en chiffon. L’annonce micro crée un raz de marée engloutissant l’enfant dans les escaliers. J’attends maintenant pour lui rendre sa poupée.

2/ Le train-1
Ses yeux ouverts ne regardent pas le paysage. Son visage est découpé de rides horizontales. Ses rêves ne sont que des soucis. La jeune femme noire ne voulait pas partir. Elle a pris très peu de bagages. Cela ne va pas duré longtemps. Elle repartira très vite. Forcement. Juste accomplir son devoir. Juste quelques euros pour la belle vie. Décidément elle est ailleurs. Son coeur et son âme ne sont pas partis. C’est tout juste si son corps traîne dans ce train. Bien rester refermer sur soi. Ne pas prendre le risque de ne pas pouvoir revenir. Son chez soi est malheureux mais c’est son chez soi.

3/ le train-2
Travailleur fatigué aux odeurs de chantier, il expie sa condition dans un sommeil sans repos. Il est affalé sans retenu sur les deux places de son côté. Quand le train s’arrête en gare, il sursaute d’angoisse et demande si c’est Strasbourg. On le rassure. Il marmonne un merci dans un accent difficile à déterminer. Son sac est grand et gonflé de protubérances. Démarrage sans avoir bouger d’un iota. Son corps ballote d’épuisement. La nuit tombe et le train continue. Il sursaute et demande Strasbourg. Toutes les dénégations le rassurent. Il tremble encore quand le sommeil le rattrape à nouveau. Le froid nocturne gagne le wagon. Il est le seul à ne pas se couvrir. Le train ralentit. Il sursaute. Strasbourg? Je lui fais signe que non. Prochaine? Non! Encore deux arrêts. Il respire. En montant les escaliers avec ma lourde valise, je regarde disparaître le train. J’ai peur pour lui.

4/l’arrêt de bus
Énervement et piétinement. Le bus n’est pas en retard mais il me tarde. La musique ouate mon cerveau de basses répétitives. J’oublie l’ennui sur les bancs de l’amphi. Mais il y a ces voitures, toutes ces phares qui passent et repassent devant. J’ai l’impression que tout le monde m’observe. Je piétine. Aucunes connaissances dans le flot automobile. Impossible de pleurer ma douleur, mon humiliation, ma haine. Les boucles électro de mon baladeur abritent ma rage. Je reste hypnotisé par le mouvement incessant des voitures qui entre en résonance avec la musique. Une portière s’ouvre devant moi et sans réfléchir, je monte.

5/le film
Mal assis devant ce maelström d’images, je suis fasciné. Laura Dern et son expression suspendue dans un malaise. Ce plateau de cinéma devient un lien incertain entre le tournage et une autre réalité. Est-ce la réalité ou un fantasme en trompe-l’oeil? Laura Dern est un spectre facétieux qui se cherche et se démultiplie d’identités en identités. Son visage n’est qu’une ampoule instable qui disparaît parfois dans le noir de la pellicule. Je me noie dans une mise en abîme impossible, rêve de cinéma qui rêve d’un cinéma qui regarde lui-même disparaître ses fantasmes dans un téléviseur qui montre Laura Dern essayant de sortir de son film ou du fantasme de film. Toutes ces images animées et sonores sont un kaléidoscope d’énigmes dont seul notre inconscient peut faire son miel, à notre insu. Nous ne sommes qu’un rêve de cinéaste.

d’après la contrainte 169 (ci-après) de l’atelier proposé sur la Zone d’Activité Poétique de Pierre Ménard.

« Ecrire une suite de courtes nouvelles, gouffres et bonheurs simples sous forme de micro-fictions, où s’enchaînent événements absurdes, souvenirs infimes, portraits savoureux, récits insouciants s’inscrivant dans les interstices d’un quotidien que l’on observe avec gravité et légèreté. »