Le rêveur sur le banc

banc métallique devant une haie

Quand la bise d’été vient, le rêveur s’installe sur le banc près du frangipanier. Il pose sa main sur la terre du pot, les fleurs blanches semblent surgir de nulle part avec leur parfum. Quelques phrases se déposent sur le petit carnet à la couverture ocre. Lisser le banc. Attendre le point du jour en fixant les feuilles qui dodelinent, tentative de séduction, face aux nuages indifférents qui passent et repassent un ciel sans plis. Attendre le chat qui viendra se faire caresser quelques minutes à l’ombre du réverbère. Les fleurs blanches auront disparu comme effrayées par la jour. Attendre que la haie se taise à l’arrivée des rayons du soleil. Ce silence du matin. Finir son thé au gingembre avant de se lever pour laisser son ombre dormir tranquille.

(5 mai 2019)

Pivoine

Pivoines

Je voulais lui offrir une fleur. Je voulais que chaque pétale soit des mots doux. Je voulais que son parfum lui embrasse doucement le nez. Je voulais mettre une lumière rosée sans son intérieur terne. Je voulais qu’elle pense à moi chaque fois qu’elle regarderait cette fleur. Je voulais qu’elle pense à moi autrement que comme l’ami de toujours.

Il a fallu qu’elle meure avant que je la lui offre !
La voilà fleur fanée dans le journal.

(art postal envoyé le 16/10/2012)

Au détour d’un foulard, j’ai perdu sa trace

Linge au Rajasthan

Il y a longtemps que j’ai perdu sa trace… la femme aux yeux amandes. Notre rencontre s’est faite autour d’une robe qu’on accroche pour la faire sécher. Prétexte pour l’aborder, son visage métis brillait intensément sur le fond bleu des façades. Sa voix étrangement dissonante me fait toujours rêver comme une mélopée lancinante, inoubliable, insaisissable.

Mes compliments l’on fait rougir et s’enfuir à pas légers dans le dédale de ce quartier à l’écart du tourisme.

J’ai encore comme souvenir ce foulard orage perdu dans sa fuite. Au détour d’une ruelle, elle avait disparu… juste ce foulard au sol. J’ai beau le caresser, lui parler doucement ou le menacer, aucun génie n’apparaît pour me conduire à elle. Même cette photo reste insensible à mes œillades.

Tonnerre de cuivre

cors de chasse

La salle vibre de toutes ses notes. Le tonnerre des cuivres s’enfonce jusqu’au dernier rang. La voix de la chanteuse s’apprête à saisir le cœur du public. Le chef d’orchestre sourit sérieusement devant la perfection des enchaînements et le silence des spectateurs est éloquent. Je répète encore dans ma tête le passage qui m’incombe. J’imagine les notes qui s’entortillent autour du cor. Le rythme s’accélère. Je sens l’instrument qui frémit. J’harmonise ma respiration avec le tempo de l’orchestre. Je prends mon souffle, je pose ma bouche et je lance cette note jaune qui va surprendre tout le monde.

l’heure du thé

Pivoine dans une tasse calligraphiée à la japonaise

C’est l’heure du thé, j’attends sa visite. Il règne un doux parfum de fleurs créant un havre de paix alors qu’il fait mauvais dehors. Je suis impatient qu’elle arrive. Nos conversations futiles ou sérieuses s’enfilent comme un beau collier de perles. Elle a ses petits moments d’absence, le regard posé sur un nuage. Elle a ses petits sourires enigmatiques lorsqu’elle ne veut pas répondre à l’une de mes questions. Quand elle parle de son âge et de son Alzheimer , elle balaie d’un souffle mes dénégations. Il reste si peu de temps à notre amour, j’espère qu’elle ne sera pas en retard.

Je dessine la fêlure de leur voix

 lambeaux de feuilles en calligraphie japonaise

Dans ce jardin du souvenir, ces papiers mauves pourraient être effrayants, traces sans sépultures de morts proches ou lointains. Il n’en est rien. En-dessous des noms ; il y a ces images qui flottent dans l’air. Ces idéogrammes témoignent et racontent la vie du défunt, une anecdote, un exploit, un geste tendre, des mots d’amour…. Chacun vient ajouter sa touche, les liens tissés avec le mort. Chacun me raconte son histoire, ces moments qui ont compté dans les deux vies. Quand les dernières paroles sont parties avec le vent, je prends mon pinceau et pendant qu’ils s’éloignent, je dessine non seulement ce qu’ils ont dit, mais aussi la fêlure de leur voix.

(texte au dos de cette carte postale)

Taxidermie

Collage sur enveloppe avec tableaux et animaux

Ces vacances en Bretagne ont été un vrai bonheur. Quand nous n’étions pas à la plage, nous jouions dans la campagne ou dans l’immense par de la maison de Yannick. J’adorais la cabane au bord de la mer avec ses volets bleus. J’aurais préféré y dormir plutôt que dans le château à l’ambiance froide et étrange. Tous les murs étaient couverts de tableaux, de trophées d’animaux ou de livres. Aucun espace pour respirer. Les meubles étaient vieux. Ils ressemblent à ce que l’on voit dans les musées quand on y va avec l’école. C’est dire. La nuit, je fais des cauchemars où je vois des animaux empaillés se promenant dans les couloirs. Et puis, il y a la sœur de Yannick, pâle et habillée de blanc. Elle ne sort jamais.

(d’après une création postale d’Isartpostal)

Art postal: qui êtes-vous?

collage textes et visage sur le thème du japon

Il y a le choc de la catastrophe. Tout est démoli. Je me réveille et j’erre dans les ruines du raz de marée. Le plus effrayant est d’être seule. Personne à qui parler. Dans les décombres, je vois les restes d’un téléphone. J’aimerais avoir quelqu’un à rassurer, un ami à appeler, un patron à prévenir. En même temps, cette solitude me rend plus légère face à la destruction du monde qui m’entoure. Je n’ai plus aucun repère face à ce paysage bouleversé. Une joie étrange m’envahit et je marche avec une intensité accrue dans mon regard. J’attends le changement. Après plusieurs heures d’errance dans un état de fatigue extrême, je rencontre un homme qui me demande : « Qui êtes-vous ? ». Je réponds : « Votre prochain amour. »

(création d’Isartpostal)

Des murs qui parlent

Murs avec texte, papier peint et objets

C’est ici que le poète pesait les âmes de ses compagnons d’enfermement. Sa cellule était couverte de textes, du délire au poème en passant par les recettes de cuisine. Au détour de ce palimpseste infini, on pouvait lire – paraît-il, car les autorités ont fait repeindre la cellule à la hâte –le nom des compagnons exécutés ou « disparus ». Les morceaux joués par l’orchestre de la prison figuraient aussi, toujours du classique. Le poète écrivait tard dans la nuit, même quand la lumière avait été éteinte. Et puis, quand le grattement du poète contre le mur s’est arrêté, ils ont su que la catastrophe était proche. Tout le monde a été libéré et ils se sont retrouvés dehors, perdus, face à un monde incompréhensible. Ils n’avaient plus de mémoire. Sans le poète, ils ne savaient plus qui ils étaient. Ils avaient perdu le sourire. Les compagnons d’infortune du poète eurent beaucoup de mal à se disperser et bien plus tard ils sont venus tous les ans visiter la prison-musée.

Photo du jour 07 octobre 2012 – La rêveuse

Belle femme rêvant dans son jardin

à Cécile-Anne H.

La rêveuse est assise dans son jardin. La rêveuse se remémore le livre qu’elle vient de terminer. Une nième variation sur l’amour qui triomphe malgré les obstacles. La rêveuse attend les enfants qui rentrent bientôt de l’école. Ce livre l’a troublé plus qu’elle ne l’aurait imaginé avec ses questions existentielles. Dieu, et tout ça, la rêveuse n’y croit pas mais quand même le doute s’est installé. Il y a peut-être quelque chose plutôt que rien. Et si le coeur n’y est pas, la rêveuse s’est faite belle pour le repas de ce soir. Ses invités. La lassitude la quitte un peu quand elle entend le portail du jardin. Les enfants. C’est l’heure du goûter pour tout le monde.