En attendant le silence le poète
erre dans tous ses mots
comment prendre la parole
quand la douleur devient incompréhensible ?
(Hochstatt ; Journal des Mots 30 janvier 2021)
les mots sont saisis de folie
Chocs et rebondissements
les mots sont saisis de folie
la parole se casse bizarrement
ne pas regarder l’œil de Caïn.
(Hochstatt ; Journal des Mots 26 janvier 2021)
Tes pas sur la neige
Quand s’efface le ciel
les mots voudraient décrire cette beauté
mais la parole saurait-elle si bien dire
Que reste-t-il de tes pas sur la neige ?
(Hochstatt ; Journal des mots, 25 janvier 2021)
Rêve pour la liberté…
Pour la liberté, la marche est légère
refuser toute censure,
rire de tout contre les esprits chagrins
et oui blasphémer quand cela nous chante
seul contre tous, oser tout dire
quand l’injustice, l’absurde ou la violence
s’approche insidieusement pour gangrener nos âmes
nous sommes tous les sauvageons ou les idiots de l’autre
écœurante cette tentation de rayer à grand trait rouge le mot de fraternité
de s’arranger avec la liberté
de clamer l’égalité pour cacher son propre enrichissement
…
qu’ont-ils fait de nos rêves ?
(Rêves 33)
et le monde se déroba sous nos pieds
Un travail joyeux
plus de temps pour soi, pour sa famille, ses amis
la solidarité heureuse
promesse d’une festive insouciance de tous les instants
ne jamais manquer de rien
attendre avec sourire le lendemain
forcément meilleur
et la chute du mur de Berlin
sonna comme la symphonie parfaite
la charge de la preuve
mais l’appât du gain gangrénait en sourdine
quand la crise fût venue
elle trouva l’espoir fort dépourvu
et le monde meilleur se déroba sous nos pieds
…
qu’ont-ils fait de nos rêves ?
(rêve 24)
les mots soudain taquins effeuillent le vent
Suivre la forme du souffle
les mots soudain taquins effeuillent le vent
la parole soupire dans l’ombre
le corps résiste encore à l’énigme qui vient.
les mots s’émoussent dans ta bouche
Entendre l’éclatement
les mots s’émoussent dans ta bouche
la parole est peut être cassée
où est passé la patience?
(Journal des Mots 4 juillet 2020)
L’auteur irlandais
L’après-rencontre commence par un temps de silence agréable. Notre auteur irlandais déguste sa bière alsacienne avec plaisir. Regarder la mousse qui s’affaisse lentement semble l’apaiser. Cathy B. a fait une magnifique lecture comme d’habitude et le public déjà conquis a embarqué dans un échange simple, chaloupé et parfois pointu sur l’histoire du pays. Hugo H. a répondu sans langue de bois sur l’aspect historique.
La Winstub est pleine de clients, c’est le début du second service. La table est bancale et je n’arrive pas à stopper un des serveurs. Hugo H. sourit de la situation. Quelques poils rebelles de sa barbe grise pointent sur ses joues.
Les gens étaient présents et on sentait les bons lecteurs me dit-il pour entamer la conversation. C’est vrai que les collègues ont su fidéliser pour ces rencontres des lecteurs attentifs. D’ailleurs nous leur proposons systématiquement une rencontre lors des Belles Étrangères. Pourquoi être si critique vis à vis de vos congénères? Il faudrait savoir dépasser son histoire et enfin passer à autre chose. Cela m’énerve de les voir ressasser le passé et rester englué dans les vieilles querelles, s’échauffe-t-il en triturant machinalement les manches de son pull gris. Son regard prend soudain une teinte douloureuse. Il fuit en regardant les éléments du décor alsacien de la Winstub. Il ne lui aura pas fallu une fraction de seconde pour s’absenter, ne plus être là. Son profil ne trompe pas. Il est irlandais.
Après une nouvelle gorgée de bière pour reprendre de la contenance, je raccroche les wagons en lui parlant des Antilles, notamment la Guadeloupe, qui ont elles aussi du mal à solder leur passé. Mon maître d’armes guyanais n’arrêtais pas de bousculer les guadeloupéens en leur disant de se prendre en main au lieu de se lamenter comme des agneaux déjà dans l’abattoir.
Hugo H. m’interroge alors sur mon enfance et mon parcours, sincèrement curieux. Je lui raconte mes difficultés et mes désillusions. Vivre dans une île est particulier acquiesce-t-il. C’est pourquoi je voyage beaucoup et que j’essaie d’observer mon pays depuis l’extérieur. Je ne me sens pas bien dans ma peau d’irlandais, je ne sais pas vraiment ce que c’est être irlandais, avec toutes ses histoires et tous ces malentendus… communion autour de nouvelles gorgées de bières. Les planches de tartes flambées arrivent et couvrent la quasi-totalité de la table cachant la nappe en papier parsemée de taches de bière. Notre espace est violemment envahis par l’odeur des lardons et du fromage chaud. La faim oubliée réapparaît soudain et chacun saisit religieusement l’une des portions découpés sur sa planche. Hugo H. mange avec une distinction toute britannique, sa barbe reste propre du début à la fin et aucun élément de la garniture ne s’échappe pour tomber sur la table alors que je dois nettoyer régulièrement mon menton couvert de crème et récupérer quelques lardons sur la table.
Revigorer par la boisson et la tarte flambé, il enlève son pull gris sous lequel surgit une chemise trappeur très bariolée… un fin sourire flegmatique se dessine sur son visage en voyant mon air surpris. Ma seule faiblesse dit-il très vite avant de me relancer sur mon enfance.
Soudain plus à l’aise, je me livre aussi à des confidences sur ma difficile adaptation à la métropole, mes premiers mois étranges à Montpellier. Je ne comprenais aucun des codes sociaux. Cela n’avait rien à voir avec la Guadeloupe au niveau des relations humaines. Les réactions de mes interlocuteurs n’étaient pas compréhensibles. Parfois j’avais l’impression qu’ils attendaient quelque chose de moi, sans que je sache quoi et sans qu’ils m’expliquent non plus clairement. D’autres fois, mes paroles ou mes actions ne provoquaient pas les mêmes effets qu’en Guadeloupe.
Pendant que je parle sa main droite trace des traits invisibles sur la nappe maculée de bière et de tarte flambée. Son regard est fixé sur une table voisine, scrutant avec avidité la scène. Troublé et ne sachant s’il continue à m’écouter vraiment, je m’emmêle les pinceaux dans mon récit qui tourne court.
Après un silence intense son « Very amazing, you should write it » résonne encore en moi aujourd’hui.
personnages #5 | dialogue à un seul qui parle dans le cycle vies, visages, situations, personnages de l’atelier en ligne de François Bon
l’élan des mots en trop
Mon amnésie brise à nouveau
l’élan des mots en trop
la parole respire sous l’eau
cet air de renouveau.
(Journal des mots 8 mai 2020)
Crêperie en famille?
1/Assis à ma table, je vois bien la tablée composée de deux femmes de plus de 50 ans, un garçon d’environ 7 ans, et deux adolescentes d’une douzaine d’année. Les deux femmes sont face à face d’un coté, le garçon est au milieu et les deux adolescentes face à face de l’autre. Ces dernières sont chacune rivée à leur portable et vu les mouvements de doigts, elle échangent frénétiquement des messages avec leurs copines ou petits copains. Le garçon s’ennuie un peu au milieu et chipote dans son assiette de crêpe pendant que les deux femmes sont en conversation intime. Elles échangent sur des soucis personnels, l’infidélité d’un des maris ou une opération grave de l’autre à moins que cela soit plus futile comme refaire la décoration de leur maison.
2/ Où alors c’est un couple de lesbiennes qui est de sorti avec la famille recomposée, l’une a eu une fille et le garçon, la seconde fille est une amie dont les parents sont en week-end et qu’elles gardent. Deux bourgeoises qui ont assumé tard leur orientation sexuelle et qui maintenant s’affichent à tout va sans aucune retenue. La garçon est mal à l’aise dans cette situation et cela explique qu’il pique sa crise de nerf. Gênées, les deux filles partent en premier et les deux femmes finissent par céder au caprice du garçon et fuient le restaurant.
3/ Les deux femmes sont au restaurant pour laisser leurs maris animer l’enterrement de vie de garçon de leur meilleur pote. Elles se connaissent mal et ne savent pas trop quoi se dire dans cette crêperie, tout comme les deux adolescentes qui préfèrent échanger des messages avec leurs vrais copains/copines que faire connaissance. Du coup, la conversation est décousue entre des silences gênées et des questions polies sur les résultats scolaires, les dernières vacances ou la qualité des légumes qui, même en bio, n’ont plus aucun goût. Le jeune garçon contribue à plomber l’ambiance grâce à des caprices successifs, la mère subit les regards réprobateurs de la tablée, des autres clients et de la serveuse. Au bout du malaise, les jeunes filles sortent en premier alors que le repas tourne court et que les deux mères passent à la caisse.
4/ A part d’infimes petits signes de nervosité, rien ne laisse supposer que ces deux femmes vont bientôt se débarrasser de leurs maris, dans une sorte de crime parfait où ils s’entretuent sans qu’on ne puisse jamais les soupçonner. Profitant du coté impulsif et colérique de l’un et de la jalousie maladive de l’autre, le scénario bien ficelé doit bientôt porter ses fruits. Sentant peut être quelque chose d’anormal, le jeune garçon montre ce soir une facette capricieuse de lui-même. Les deux adolescentes poursuivent quant à elles leurs vies parallèle sur les messageries et les réseaux sociaux, pour chacune le choc s’annonce terrible car elles sont en adoration pour leurs pères!
5/ Tentative avortée de tromper l’ennui pour une famille recomposée, renouer autour de leur plat préféré dans cette crêperie pendant que les deux papas s’amusent devant leur match de foot. C’est sûr que les crêpes ne sont pas aussi bonnes que celles de leurs mamies bretonnes. Le petit n’arrive pas à se tenir et les deux filles boudent sur leur téléphone portable. Elles auraient préféré rester tranquille dans leur chambre à tchatter voire envoyer quelques sextos à leur copain. Pour les deux mamans, c’est l’occasion de se laisser porter pendant le repas -luxe de ne pas cuisine!- en lâchant même un peu la bride aux enfants. Elles papotent avec un peu d’insouciance, c’est déjà ça. Elles doivent malgré tout écourter la soirée quand les adolescentes impatientes imposent le retour en sortant dehors.
personnages #4 | imaginer c’est voler dans le cycle vies, visages, situations, personnages de l’atelier en ligne de François Bon