Les sols (carrelage et plage)

Quel enfant joyeux, joyeux et virevoltant sans cesse dans la maison, il était infatigable, sa nounou n’arrivait pas à l’arrêté et il me piétinait lourdement mais sans malice, avec plutôt une forme d’avidité à explorer le monde qui l’entourait, partir écouter le moindre bruit dans une autre pièce, dès le matin, je le reconnaissais avec ses pieds en V sur moi, les autres membres de la famille avaient une forme de pas sérieuse car les deux pieds strictement parallèle, aucune fantaisie perceptible à ce stade, c’est pourquoi j’ai été pris de court et bouleversé quand le petit enfant est tombé sans crier gare et s’est ouvert le menton sur un seuil de porte mal fixé, le sang a coulé sur moi, je n’avais jamais vu rouge avant, la poussière, l’eau, le sable, les insectes, les meubles, les chats affalés, les chaussures retournées, le cul de la poubelle, des corps nus et excités, le cartable d’école, le livre abandonné ou le goût du coca autour d’un verre brisé, tout cela m’était à peu prêt familier mais le sang, c’était ma première fois, j’ai tout de suite détesté à cause des pleurs de l’enfant et des hurlements de la nounou, le sang pour ma part, je n’y prendrais pas goût.

Dans ce coin de la maison, la chaleur ne m’atteins pas, mon carrelage reste frais, le chat vient s’affaler de tout son long sur moi, les pieds nus s’attardent, parfois une peau nu s’allonge avec une protubérance en plein milieu tout du long, le dos, puis le surface de peau change quand je me suis réchauffé à son contact, moins large et plus discontinue, le poids est aussi moins homogène, un soupir d’aise vient parfois et j’entends aussi un bruit régulier avec comme un petit vent sur moi, très fort au milieu de la pièce et quasiment imperceptible ailleurs, quand c’est comme cela je reste dans le noir très longtemps, j’aperçois à peine le ciel, parfois un bout de Lune, la nuit quand les volets sont entrebâillées, au petit matin je me sens parfois frigorifié et tendu sans trop savoir pourquoi, quand les premiers pieds me foulent cela va tout de suite mieux, leur passage me réchauffe et tous mes carreaux se détendent en cascade, l’autre jour une bestiole étrange est venue se déposer sur moi, c’est à peine si j’ai senti quelque chose, comme un tout petit courant d’air, c’est quand j’ai entendu des exclamations que je me suis un peu concentré, ils ont dit papillon, mystère.

Ce que je préfère, c’est le massage des vagues la nuit, aucune autre perturbation, le vent fort lui m’affole et me bouleverse en dispersant mes grains de sable à tout va, au petit matin je frissonne sous les pattes des crabes, j’essaie vainement de comprendre si leur trajet m’envoie un message, et puis je tremble à l’arrivée des voitures et des hommes qui en sortent, petits ou grands, ils n’ont de cesse de courir vers la mer, observer les pieds de tout forme me distrait un moment puis je me lasse de ces va et vient perpétuels sans autre logique que d’alterner plongeons et bronzages, le pire vient des enfants qui me triturent, me creusent ou me sculptent, je n’en peux plus des châteaux de sable et autres digues, des mots d’amour et autres kyrielles de prénoms… en revanche, j’attends avec impatience et je me passionne pour les jeux de ballons divers et variés, j’admire l’adresse et la dextérité dont je ne suis pas capable, je suis jaloux des rire et des connivences que cela créent entre joueurs, moi désespérément immobile, soumis aux aléas des courants marins et du vent, que j’aimerais pouvoir virevolter, danser, me jeter par terre, tourbillonner au sol et enchaîner figures ou cabrioles, parfois en fin de journée quand le calme revient, je me sens lourd et inutile, encore plus insignifiant que tous les rochers qui m’entourent.

Atelier en ligne de François Bon, Eté 2019, proposition 1

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