Coquillages

Je ne garde que des images sépia de notre première rencontre, ton visage enfantin devant les coquillages, tes cheveux furieusement noirs face au vent, ta manière de glisser sur le sable pour éviter d’avoir les pieds mouillés, ta voix me parvenait feutrée au creux de la petite tempête, tu t’étais inquiétée de me voir longtemps immobile, je n’étais pas évanoui ni malade mais amoureux, devant mes balbutiements idiots tu avais rougis puis souris… tu avais suggéré d’aller prendre une boisson chaude… tout en marchant vers le bar, je m’efforçais de mémoriser toutes les images de toi sur cette plage… quand je les dessinais plus tard, il me manquait toujours quelque chose dont je n’arrivais pas à me souvenir, je m’en voulais de n’avoir rien pu faire, de ne t’avoir pas laissé à ta chasse aux coquillages.

d’après le photoblogue de Line Lamarre, inspiré de la photo To collect shells

traduction anglaise:

I keep sepia picture from our first sight, your child’s face looking at shells, your deep black hairs facing the wind, your way of dancing on the sand trying to escape having wet feet, your voice coming to me slowly in the little tempest, you worry seeing me motionless to long, I wasn’t faint nor sick but fall in love, in front of my idiot’ stammering you flush and go smiling… you offer to drink a hot drink… while walking to the café, I try to remember each pictures of you on this beach… when I draw it later, it miss me always something which I can’t catch in my mind, I feel guilty not to be able to do anything, not to let you hunting shells.

Le cahier du muet

On m’appelait le muet, jamais rien ne disait, mes cahiers d’écolier étaient mon seul espace de paroles, j’écrivais les pleurs qui ne sortaient pas, je dessinais les fantômes du coin de la rue, ceux qui me poursuivaient en hiver, je transcrivais mes pensées aléatoires sur ce que je ne comprenais pas, je me rêvais autre, je riais tout seul de mauvaises blagues, je cachais mes chagrins et refusais mes espoirs, on aurait dit que je savais écrire avant d’avoir appris à lire, il n’y a que l’amour que je n’ai jamais su écrire ni dire, aujourd’hui encore je le cherche à chaque phrase, je ne sais pas ce qui me manque mais cela fait mal.

inspiré du photoblog Pensées photographiques, d’après la photo Retour au travail

Micro-fictions

1/ Marcher dans la rue

Comme le dit la chanson, je marche seul et anonyme dans cette grande ville. Mes pas appuient sans cesse sur le macadam et je marche au hasard. Les panneaux des rues guident à peine mon chemin. C’est dimanche et les passants s’enfuient eux aussi décidés et pressés vers des lieux précis. Les magasins sont fermés et les rues trop propres. On pourrait se croire dans un rêve. Je croise un homme mal fagoté qui parle seul, comme s’il s’engueulait avec sa femme. Un chien me fait sursauter en me dépassant comme un dératé. Au premier étage d’un immeuble, j’entends la mélodie mal assurée d’un piano. Soudain au détour d’une rue, la foule est là, écoutant au milieu d’une place un groupe de musique.

2/ Dépression commerciale

Une jeune femme seule traîne les pieds d’une boutique à l’autre. Le centre commercial semble une vaine distraction à sa légère tristesse. Sa chevelure cuivrée et son port altier intriguent tout autant qu’ils dissuadent les regards. J’attrape au vol les murmures d’un vieux: « si jeune et déjà fatiguée de vivre ». Il s’en suit une détonation. Tout le monde est saisis d’immobilité pendant une fraction de seconde. Chacun se fait son film pendant ce bref laps de temps: attaque à main armé, attentat,… Le vieux et moi nous regardons en pensant la même chose: suicide? Non, un énorme pétard qui a fait résonner son écho dans les méandres du centre. Quant à notre jeune femme, elle a disparu…

3/ Étrange fin de journée

Je quitte le travail plein de projets. La journée pleine de contrariétés aurait dû m’alerter. J’entends la sirène du SAMU. La circulation fuse autour de mon vélo. Je passe à côté d’une femme hurlant contre son enfant qui se débat. vlam, vlam,… vlam, vlam, le train me double à grande vitesse sans crier gare. L’ambiance de cette fin de journée ne me plaît pas du tout. La lumière si belle de ce coucher de soleil cligne soudain comme une fin du monde, contraste trop paisible avec la tension perceptible dans les rues. D’autres sirènes retentissent, la police et les pompiers, peut-être une autre ambulance. Dans lesembouteillages du soir, le calme n’est qu’une façade fragile, inquiétante. J’aimerais être déjà rentré et avoir échappé aux risques de cette étrange fin de journée.

Ta lumière dans la nuit

Mon jardin est un théâtre d’ombre peuplé par ton corps, il n’est pas de rêves où tu ne danses avec ton parapluie, où ton corps ne devienne une forme abstraite qui se cache et se dérobe sans cesse,
nulle bougie, nulle source de lumière qui sachent t’incarner, qui sachent révéler ta douceur, qui sachent trouver le mouvement de tes cheveux

je cherche dans ces reflets cet au-delà du souvenir, tes lèvres plus légères que l’air qui nous entoure.

inspiré du Fakri’s Photoblog, d’après la photo Your Lighting in darkness of my garden

Gondolier rupestre

Je me promène à Venise comme dans une caverne préhistorique, on dirait les traces vivantes d’un monde en train de mourir, à chaque coin de rue, je vois un masque decomédia del’arte , j’entends déclamer des poèmes tristes sur l’amour, plus loin un cortège funèbre semble saisis d’une beauté romantique, plus tard je reste longtemps à contempler unpalazio luttant de toutes ses forces contre la chute de ses lambeaux de pierre, plus fatigué je suis prêt à me jeter dans le canal quand surgit tel un djinn ce gondolier chamarré flottant dans la lumière et transportant simplement toutes les merveilles du monde,

pour ceux qui savent regarder on peut distinguer son empreinte sur certaines façades loin des rues encombrées.

 d’après les photos d’Ernest Haas, inspiré de la photo Shadow Gondolier dans la série Europe de la Color Gallery

Faim de désert

J’accepte sans restriction le bonheur d’être là, ce désert qui est devenu ma sensuelle amie, ces frères de la soif qui m’aiment, me soutiennent et m’ont accepté comme nulle part ailleurs, je suis heureux dans l’atmosphère frénétique des transactions commerciales, je flâne dans ce foire, qui buvant le thé à la menthe, qui riant d’une nouvelle blague, qui devisant sérieusement sur la météo, qui donnant l’accolade à un nouveau venu, qui chuchotant des mots taquins à une jeune fille, qui m’arrêtant pour noter quelque chose sur mon cahier, enfin insouciant

d’après les photos d’Ernest Haas, inspiré de Camel Fair, Pushkar , Pakisthan (1972) dans la série Asia de la Color Gallery

Micro-fictions

1/ La confiture

La confiture bouillonne dans le chaudron. Je perds la notion du temps avec cette météo uniformément pluvieuse. Je suis enfermée dans la gangrène poisseuse de cette maison vieillissante. Plus goût à rien. Je pourrais laisser s’embraser la mixture de fruits et de sucre s’il n’y avait cette petite musique. A peine audible. Je cherche sans relâche à la situer. C’est le mystère qui me tient encore debout.

2/ « Si j’avais su… « 
Elle marche avec sa meilleure amie dans le parc. Ses bras moulinant dans tous les sens trahissent un énervement, une colère, un désarroi,…? Son amie écoute, tantôt hochant la tête affirmativement, tantôt figeant sa tête dans une expression de réprobation, tantôt levant les yeux au ciel, tantôt faisant la moue,… parfois cherchant vainement à placer une phrase… Les joggeurs à contre-courant sont obligés de contourner les deux importunes enfermées dans leur bulle. Les mains décrivent et dénombrent sans que cela puisse être compréhensible. La tension monte avec des mots méchants qui volent à droite et à gauche. Certains coureurs arborent une mine réprobatrice. Quand elles passent près de moi, l’agitée semble effondrée et déclame péremptoire: « si j’avais su, j’aurais fait autrement »

3/ L’exposition
Me voici à nouveau en train de déambuler dans une exposition photo. C’est pour lui faire plaisir. Je déambule en souriant plus attentif aux visiteurs qu’aux images. Je supporte ce moment d’ennui en la voyant détailler chaque photo et lire les explications parsemées dans les salles. Je me distrais en écoutant les conversations savantes ou banales et en observant les tenues vestimentaires. Vers la fin, je me décide à jeter un oeil afin de pouvoir dire deux ou trois phrases bien senties à la sortie et aussi à nos amis communs. Soudain une photo me glace. Je pourrais être de papier, ce papier, dans cette image.

Palimpseste Souchon

Les mots sont là au ras des pâquerettes, tel un baiser sur le pont des arts qui s’enfuit Rive gauche pour éviter le mépris des Foules sentimentales, la musique swingue comme un carterpillar , danse folle pour regarder Sous les jupes des filles, atroce bye-bye à l’été, regret des maillots transparents, s’éclabousser dans la mer houleuse, rire c’est déjà ça, oublier l’icône James Bond qui tue tout le monde, fuir c’est déjà ça, et surtout ne pas passer notre amour à la machine, écrire c’est lancer des balles aux oreilles profanes, les délices de l’amour, c’est la vie montgolfière avec les filles électriques qui ne riment pas avec Arlette mais marmonnent avec toutes les stars crinolines, celles qui nous ont menti comme de vieux mots maudits hurlant le bonheur sans raison.

inspiré des paroles ou des titres des chansons d’Alain Souchon

Se faire un film

Je ne cours pas, je danse légèrement, mon pas accélère pour arriver vite, être présent, être là, je laisse glisser mon parapluie sur la grille du parc, le tac-tac-tac-tac-tac… résonne avec mon coeur, je jubile de la rencontre à venir, mes lèvres forment et déforment les mots qui bouleversent mon cerveau, ébullition des sentiments sautillant avec ma main incontrôlée, je fends la nuit à la vitesse d’un oiseau, je rie, je chantonne, je tremble, je ne dois pas courir, je frissonne d’être dans ses bras, à l’approche du lieu de rendez-vous je me contrains à ralentir, je veux déguster chaque seconde et chaque gorgée d’air commune, il m’attend, j’entends flotter ses cheveux, comme au cinéma, je me repasse la scène à venir, un travelling subjectif où je rentre dans la cours, le bruit de mes talons claquant le sol, je passe la scène en noir&blanc, c’est plus romantique, il se tourne et je l’embrasse dans son sourire, « coupé! la scène est bonne, on la garde ». L’appareil photo à la main, je prends ce fragment de temps suspendu, cette joie calme qui nous attend.

d’après le photoblog JENRIKS24hphoetry, inspiré de la photo Sneaking