Peu de mots

J’attendais avec gourmandise mon heure de fantôme
hanter délicieusement cette maison
poser mes lèvres gourmandes sur les pierres
arracher des craquements goûteux
se délecter des pensées inquiètes et des tremblements humains
croquer le parquet pour déguster la crème des cris
faire de la lumière ce halo chantilly qui terrifie les locataires
siroter le peu de mots qu’ils osent dire face à l’inconnu
et terminer par un rire croustillant propice à la crise cardiaque des plus faibles
J’en salive d’horreur.

inspirée du photoblog Pensées photographiques, d’après la photo Une maison, peu de mots

Le cahier du muet

On m’appelait le muet, jamais rien ne disait, mes cahiers d’écolier étaient mon seul espace de paroles, j’écrivais les pleurs qui ne sortaient pas, je dessinais les fantômes du coin de la rue, ceux qui me poursuivaient en hiver, je transcrivais mes pensées aléatoires sur ce que je ne comprenais pas, je me rêvais autre, je riais tout seul de mauvaises blagues, je cachais mes chagrins et refusais mes espoirs, on aurait dit que je savais écrire avant d’avoir appris à lire, il n’y a que l’amour que je n’ai jamais su écrire ni dire, aujourd’hui encore je le cherche à chaque phrase, je ne sais pas ce qui me manque mais cela fait mal.

inspiré du photoblog Pensées photographiques, d’après la photo Retour au travail

Tête dans la bonheur

La photo surgit au détour d’un feuilletage, ce passé me semble lointain et improbable, pourtant d’un si violent retour à la mémoire, … exalté par un sentiment de liberté, j’avais erré en écoutant mes pas et le fil de mes pensées, libéré de ma vie et prêt à en recommencer une autre, ivre des possibles, je m’étais endormi dans ce champs, je devais m’imaginer heureux

inspiré du blog Pensées photographiques, d’après la photo Ah…Oh…Mmmm

Micro-fictions

1/ Marcher dans la rue

Comme le dit la chanson, je marche seul et anonyme dans cette grande ville. Mes pas appuient sans cesse sur le macadam et je marche au hasard. Les panneaux des rues guident à peine mon chemin. C’est dimanche et les passants s’enfuient eux aussi décidés et pressés vers des lieux précis. Les magasins sont fermés et les rues trop propres. On pourrait se croire dans un rêve. Je croise un homme mal fagoté qui parle seul, comme s’il s’engueulait avec sa femme. Un chien me fait sursauter en me dépassant comme un dératé. Au premier étage d’un immeuble, j’entends la mélodie mal assurée d’un piano. Soudain au détour d’une rue, la foule est là, écoutant au milieu d’une place un groupe de musique.

2/ Dépression commerciale

Une jeune femme seule traîne les pieds d’une boutique à l’autre. Le centre commercial semble une vaine distraction à sa légère tristesse. Sa chevelure cuivrée et son port altier intriguent tout autant qu’ils dissuadent les regards. J’attrape au vol les murmures d’un vieux: « si jeune et déjà fatiguée de vivre ». Il s’en suit une détonation. Tout le monde est saisis d’immobilité pendant une fraction de seconde. Chacun se fait son film pendant ce bref laps de temps: attaque à main armé, attentat,… Le vieux et moi nous regardons en pensant la même chose: suicide? Non, un énorme pétard qui a fait résonner son écho dans les méandres du centre. Quant à notre jeune femme, elle a disparu…

3/ Étrange fin de journée

Je quitte le travail plein de projets. La journée pleine de contrariétés aurait dû m’alerter. J’entends la sirène du SAMU. La circulation fuse autour de mon vélo. Je passe à côté d’une femme hurlant contre son enfant qui se débat. vlam, vlam,… vlam, vlam, le train me double à grande vitesse sans crier gare. L’ambiance de cette fin de journée ne me plaît pas du tout. La lumière si belle de ce coucher de soleil cligne soudain comme une fin du monde, contraste trop paisible avec la tension perceptible dans les rues. D’autres sirènes retentissent, la police et les pompiers, peut-être une autre ambulance. Dans lesembouteillages du soir, le calme n’est qu’une façade fragile, inquiétante. J’aimerais être déjà rentré et avoir échappé aux risques de cette étrange fin de journée.

Dire aux mots d’attendre encore un peu

Devant la fenêtre à histoire, j’attends les mots
Le murmure de mes rêves se fait entendre sur le cliquetis du clavier
Parfois, j’ai peur
La phrase est suspendue à une douleur,
J’aimerais fuir,
fermer la fenêtre et laisser se dissiper
se dissoudre dans l’air les maux
pouvoir dire « attends, je reviens tout de suite »
et ne garder que le beau
sur la page qui vient de s’écrire

inspiré du Fakri’s Photoblog, d’après la photo I come back!

Ta lumière dans la nuit

Mon jardin est un théâtre d’ombre peuplé par ton corps, il n’est pas de rêves où tu ne danses avec ton parapluie, où ton corps ne devienne une forme abstraite qui se cache et se dérobe sans cesse,
nulle bougie, nulle source de lumière qui sachent t’incarner, qui sachent révéler ta douceur, qui sachent trouver le mouvement de tes cheveux

je cherche dans ces reflets cet au-delà du souvenir, tes lèvres plus légères que l’air qui nous entoure.

inspiré du Fakri’s Photoblog, d’après la photo Your Lighting in darkness of my garden

L’air des couleurs

Le trompettiste attendait son heure
laissant les passants se baigner dans la mélodie
pour dire les couleurs de la vie
sa douce rondeur se déposera sur l’air électrique
la brume sourira sans manière d’un soleil
délivrant les sourcils accablés de mauvaises vibrations
la ville respirera soudain le rock serein
d’un violent désir de danser,
un pas après l’autre,
sa liberté d’être à nouveau soi.

inspiré du photoblog Strawberryfields, d’après la photo a singled out trumpet player

Le dernier vélo

J’ai rêvé du dernier vélo, cette nuit craquante où tout a pris fin, être le dernier des hommes et fuir dans une ville absolue, noyée d’enseignes lumineuses, creuse et sans âmes qui vivent, fuir à la recherche du moyen de fuir, de rattraper la vie, fuir à la recherche du sens de cette disparition, fuir contre le trop plein d’images et de sons qui poursuit la moindre parcelle de nos instants, fuir contre l’occupation permanente de mon cerveau par les conversations destructrices, fuir contre la destruction de mes sens, fuir pour s’enfuir loin des lieux communs de plus en plus vide, fuir l’incompréhension des âmes errantes sans conscience et trouver comme un soulagement le dernier vélo en liberté, regarder tremblant ce dernier vestige d’un passé libre.

inspiré du photoblog Strawberry Fields, d’après la photo Sans titre du 04-12-2006

Tulipe

Perdre la raison
Aimer ce point aveugle
qui décalque sa vie
inspirer les parfums sensuels

et, se réjouir qu’enfin
ne se perdra plus dans la lumière
et pourra offrir ses belles fleurs
jaillies de l’ombre
la femme au coeur lointain.

d’après du photoblog Strawberry Fields, inspiré de la photo Tulips