je suis flou et il suffirait de pas grand chose pour que je m’envole

Clé accroché à une clôture au bord de la plage

Dès que le temps le permet, j’enfile mes chaussures de marche et je vais traîner sur le chemin des douaniers. Les plages, les falaises, la côte sont toujours belles quelque soit la météo. Je marche longtemps mais je prends mon temps et je m’arrête souvent. Je regarde, j’observe, je m’imprègne, je voudrais me fondre dans le paysage, j’essaie désespérément de comprendre ce que j’ai sous les yeux, pourtant, tout s’échappe, tout s’enfuie et la mer change, se dérobe et résiste à toute approche. A la fin de mes balades désespérées, je flotte, je me sens ailleurs, je suis flou et il suffirait de pas grand chose pour que je m’envole. Des mots essaient de se poser et de s’accrocher dans ma tête, je reste à coté de toutes ces syllabes ou de ses phrases qui voudrait s’imposer, s’incruster et écorcher ma peau avec leur flot de questions, je ne peux pas courir, je ne veux plus me presser, je suis à bout de force, à bout de sens, comme si je ne pouvais attraper aucune clé qui se présente sur mon passage, l’interdit est là et fuir n’est plus possible, alors je saisis les bulles de savon et les couleurs de l’océan, et soudain je respire avec le souffle de poème qui se dépose au creux de mes mains plus doux que le baiser du matin et je sais vers où va le vent des mots.

Je dessine la fêlure de leur voix

 lambeaux de feuilles en calligraphie japonaise

Dans ce jardin du souvenir, ces papiers mauves pourraient être effrayants, traces sans sépultures de morts proches ou lointains. Il n’en est rien. En-dessous des noms ; il y a ces images qui flottent dans l’air. Ces idéogrammes témoignent et racontent la vie du défunt, une anecdote, un exploit, un geste tendre, des mots d’amour…. Chacun vient ajouter sa touche, les liens tissés avec le mort. Chacun me raconte son histoire, ces moments qui ont compté dans les deux vies. Quand les dernières paroles sont parties avec le vent, je prends mon pinceau et pendant qu’ils s’éloignent, je dessine non seulement ce qu’ils ont dit, mais aussi la fêlure de leur voix.

(texte au dos de cette carte postale)

Photo du jour le 7 septembre 2012

Dans ce atmosphère de fin d’été, je regarde mes enfants jouer au loin sur la passerelle, je me sens étonnamment calme, je n’ai plus peur pour eux, il y a quelque temps je n’aurais pas supporté qu’ils soient si loin, qu’ils jouent en hauteur, qu’ils ne m’écoutent pas, je leur en aurait voulu pour cette insouciance, cette joie d’être au monde, ces rires sans raison, ma seule obsession aurait été de le protéger de tous les dangers, j’aurais envisagé les pires scénarios et même j’aurais inventé des risques potentiels, l’essentiel aurait été qu’il soit tout prêt de moi et le plus calme possible sans être inactifs afin de neutraliser mes pensées les plus sombres, maintenant qu’il pleut des étoiles dans ma tête, je souris et je me sens heureuse de les voir vivre, je somnole dans l’herbe sans inquiétude car nous sommes plusieurs à les surveiller du coin de l’oeil, la journée s’est passée en douceur autour de cette ballade et du pique-nique, tout à l’heure quand je serais moins fatiguée j’irais les rejoindre pour m’amuser avec eux et les prendre dans mes bras, on regardera ensemble le Soleil se coucher et disparaître.

photo du jour de @jn sur instagram le 7 septembre 2012

Taxidermie

Collage sur enveloppe avec tableaux et animaux

Ces vacances en Bretagne ont été un vrai bonheur. Quand nous n’étions pas à la plage, nous jouions dans la campagne ou dans l’immense par de la maison de Yannick. J’adorais la cabane au bord de la mer avec ses volets bleus. J’aurais préféré y dormir plutôt que dans le château à l’ambiance froide et étrange. Tous les murs étaient couverts de tableaux, de trophées d’animaux ou de livres. Aucun espace pour respirer. Les meubles étaient vieux. Ils ressemblent à ce que l’on voit dans les musées quand on y va avec l’école. C’est dire. La nuit, je fais des cauchemars où je vois des animaux empaillés se promenant dans les couloirs. Et puis, il y a la sœur de Yannick, pâle et habillée de blanc. Elle ne sort jamais.

(d’après une création postale d’Isartpostal)

Art postal: qui êtes-vous?

collage textes et visage sur le thème du japon

Il y a le choc de la catastrophe. Tout est démoli. Je me réveille et j’erre dans les ruines du raz de marée. Le plus effrayant est d’être seule. Personne à qui parler. Dans les décombres, je vois les restes d’un téléphone. J’aimerais avoir quelqu’un à rassurer, un ami à appeler, un patron à prévenir. En même temps, cette solitude me rend plus légère face à la destruction du monde qui m’entoure. Je n’ai plus aucun repère face à ce paysage bouleversé. Une joie étrange m’envahit et je marche avec une intensité accrue dans mon regard. J’attends le changement. Après plusieurs heures d’errance dans un état de fatigue extrême, je rencontre un homme qui me demande : « Qui êtes-vous ? ». Je réponds : « Votre prochain amour. »

(création d’Isartpostal)

Des murs qui parlent

Murs avec texte, papier peint et objets

C’est ici que le poète pesait les âmes de ses compagnons d’enfermement. Sa cellule était couverte de textes, du délire au poème en passant par les recettes de cuisine. Au détour de ce palimpseste infini, on pouvait lire – paraît-il, car les autorités ont fait repeindre la cellule à la hâte –le nom des compagnons exécutés ou « disparus ». Les morceaux joués par l’orchestre de la prison figuraient aussi, toujours du classique. Le poète écrivait tard dans la nuit, même quand la lumière avait été éteinte. Et puis, quand le grattement du poète contre le mur s’est arrêté, ils ont su que la catastrophe était proche. Tout le monde a été libéré et ils se sont retrouvés dehors, perdus, face à un monde incompréhensible. Ils n’avaient plus de mémoire. Sans le poète, ils ne savaient plus qui ils étaient. Ils avaient perdu le sourire. Les compagnons d’infortune du poète eurent beaucoup de mal à se disperser et bien plus tard ils sont venus tous les ans visiter la prison-musée.

Photo du jour le 1er novembre: trop parfait

Visage de mannequin dans une vitrine

Trop parfait, ce visage dans la vitrine, trop parfait, si beau de loin, si attirant, ce regard étrange, glacial mais mélancolique, comme cherchant de la compagnie, de loin, si beau, je devine une élégance tout en sobriété caché par la vitrine, je me sens intrigué, attiré, aimanté, et pourtant angoissé, trop parfait, si beau de loin, comme figé dans une tristesse inconsolable mais fier, la beauté plastique des mannequins sans la frime que je sens souvent dans leur fausse nonchalance, je lui souris et je m’approche, il ne m’a pas vu, si beau, si absent, il reste immobile et glacial, comme loin de moi, de nous, du monde, la ville tente désespérément de s’imprimer en lui mais rien n’y fait, ce regard étrange, il est absent, il est indifférent, ce crâne rasé le rend encore plus touchant, maladie ou volonté d’imposer son visage brut et fort, si parfait que j’ai peur de me brûler si je viens plus près, alors je prends cette photo de loin pour garder quelques temps une trace de cette beauté inconsolable.

Photo du jour 07 octobre 2012 – La rêveuse

Belle femme rêvant dans son jardin

à Cécile-Anne H.

La rêveuse est assise dans son jardin. La rêveuse se remémore le livre qu’elle vient de terminer. Une nième variation sur l’amour qui triomphe malgré les obstacles. La rêveuse attend les enfants qui rentrent bientôt de l’école. Ce livre l’a troublé plus qu’elle ne l’aurait imaginé avec ses questions existentielles. Dieu, et tout ça, la rêveuse n’y croit pas mais quand même le doute s’est installé. Il y a peut-être quelque chose plutôt que rien. Et si le coeur n’y est pas, la rêveuse s’est faite belle pour le repas de ce soir. Ses invités. La lassitude la quitte un peu quand elle entend le portail du jardin. Les enfants. C’est l’heure du goûter pour tout le monde.

Petits papiers

Petits papiers sur un mur en bois

C’est notre secret. Ces mots doux. Ces mots fous. Ces mots tendres. Notre amour est impossible et pourtant, il brille dans nos yeux chaque fois qu’on se croise. Alors, on s’échange ces mots tendres dans cet endroit secret. Je ne sais plus qui a eu l’idée mais c’était plus sûr que les lettres qui tombent quand on se croise. C’est un vrai défi de trouver sur quoi écrire puis ensuite de s’isoler pour faire quelques phrases. Les mots d’amour d’abord, fulgurants et simples. Quelques notes du quotidien, cette survie sans l’autre. Des confessions parfois, sur soi et sur son histoire d’avant la rencontre. Des rêves, plus rarement, sur l’aujourd’hui ou sur demain. De la peur bien sûr, que tout cela finisse d’une manière ou d’une autre. Ces mots éparpillés sur cette cabane en bois, c’est notre histoire, éphémère peut-être mais si vitale.

(texte sur carte postale)

Photo du 23 septembre 2012: le funambule

Le Funambule

Il me fallait ce moment de légèreté, impérativement, le seul de la semaine, la plage, la mer, le sable sous les pieds, le vent sur le torse, l’apaisement de la nage, tout cela ne suffisait pas à oublier, un quotidien vide de sensations, depuis longtemps je voulais m’élever sur un fil pour me sentir léger et tromper l’ombre des jours malheureux, j’ai appris grâce à un circassien de passage, il a dit être épaté par ma volonté d’apprendre et par la rapidité avec laquelle j’avais saisis l’essentiel, une fois parti j’avais persévéré et me voici maintenant suffisamment à l’aise pour rester plusieurs minutes au-dessus du sol, être funambule, et là, je ne pense plus à rien, je me sens souffle d’air, je m’absente du monde, je le regarde avec un tel détachement que j’ai l’impression de ne plus en faire partir, je suis léger et hors du temps pendant ces quelques pas au-dessus du vide, je m’imagine grain de sable qui s’envole et disparaît.