les mots fissurés

La voix souffle délicatement
Les mots fissurés
qui dissimulent
la fragilité de la ville.

(journal des mots n°58 / 2 avril 2012, pendant la lecture de P.Ménard à la Médiathèque de Guebwiller)

la règle du jeu / Daniel Bourion

Vase communicant: Face Ecran

Vases communiquants

La règle du jeu ne variait pas : on tirait au sort tous les mois dans les listes électorales un inconnu ensuite enlevé un matin par les troupes spécialement entraînées pour cela et dont le travail propre net et sans bavures était depuis longtemps reconnu. Une fois le candidat involontaire endormi, sa mémoire était soigneusement lavée de tout souvenir par des méthodes gardées secrètes puis on le déposait dans le centre commercial totalement vidé et truffé de caméras invisibles. Enfermé là, l’individu s’éveillait seul.

C’est le moment où les paris en ligne affluaient, chaque spectateur misant sur des possibles plus ou moins probables (personne ne doutait plus que l’individu se servirait quelque chose à boire et partirait sans payer, ou passerait de longues premières minutes à hurler dans l’espoir vain d’une réponse).

Les gains les plus importants se faisaient évidemment sur le plus spectaculaire, crise de démence, sanglots, fissure de l’être et parfois même, ces jours où toutes les audiences explosaient, suicide en direct.

On ne savait pas ce que devenait les candidats une fois les projecteurs éteints. Aucun n’était jamais rentré chez lui, mais leurs familles éventuelles ne cherchaient pas plus loin : les compensations versées par les multinationales télévisuelles consolaient assurément de tout.

Photo du 31 mars 2012

J’aime ces longs moments de réflexion, je m’allonge et je laisse divaguer mes pensées, je revois toute ma journée, parfois je focalise sur un détail, je réfléchis à certains mots entendus ou à une phrase lue, j’imagine les moments qu’on va partager ensemble, forcément trop court, quand je pense à ma vie je la vois en gris ou au mieux dans un sépia brillant mais jamais en couleur, ces petits boulots de rien qui ne durent jamais, ces amis distants qui ne comprennent plus ce que je suis devenue, notre amour discontinu qui ne mène de toute façon nulle part, le temps qui refuse de me sourire, qui refuse de me faire un clin d’oeil, même un  tout petit, qui refuse de passer tout simplement, je me sens capturée dans une éternité douce amère, il y a combien de temps que je n’ai pas ri?

d’après une photo de @yupik, photo du jour le 31 mars 2012 sur Webstagram