froissement heureux au coeur du monde

J’avais rendez-vous avec sa musique, quand je passais le piano vibrait par delà les fenêtres, on aurait dit que les notes cherchaient à sortir, je m’arrêtais devant cet immeuble sans personnalité et j’écoutais, parfois j’arrivais à entendre tout un morceau et je repartais, d’autre fois je saisissais au vol un passage mais je ne pouvais m’attarder, je vivais régulièrement des moments magiques où les nuages, les passants, le mouvement des arbres, le bruit d’une voiture qui démarre, n’importe quoi, entraient en résonance avec la musique, alors je souriais à cette harmonie, ce froissement heureux au coeur de monde, tout commençait à prendre du sens et quand je partais la mélodie persistait longtemps et me quittait parfois juste au moment du sommeil, je me laissais griser par la promesse des sons.

d’après le billet N’importe quoi du blog paumée, divagations de Brigetoun

Photo du 24 février 2012

Ce fût une journée sans nuages, toute la famille se réjouissait de cette sortie aux chutes du Carbet, ballade en forêt suivie d’un pique-nique et de baignades à volonté, Sonia avait revêtue une si belle robe qui n’allait pas du tout avec l’excursion un peu sportive mais rien ne l’en faisait démordre, alors sa mère et moi, nous l’avons laissé faire à sa guise, après tout c’était tant pis pour elle si elle l’abîmait ou si elle la tâchait, comme un petit miracle qui a protégée toute cette journée, la robe blanche est arrivée intacte aux chutes et j’ai pu faire cette magnifique photo, nous avons tous ri et profité comme jamais, les chamailleries habituelles n’ont pas viré aux pugilats, nous sommes rentrés à la maison exténués mais joyeux, cette atmosphère de plénitude a flotté jusqu’à l’hospitalisation de grand-mère, cela fut une chouette parenthèse dans une année longue et pesante et je sais quand l’un d’entre nous à un passage à vide, car il se pose devant la photo de Sonia dans sa robe blanche laissant le charme agir puis repart avec un joli sourire.

d’après la photo de @tuana photo du jour 24 février 2012 sur Webstagram

Photo du jour 17 février 2012

Je veux partir depuis si longtemps, les papiers ne viennent jamais, j’erre dans Moscou, je fais la manche, je squatte chez des amis, ma seule lumière c’est l’appareil photo, il ne me quitte jamais, mon regarde scrute et emmagasine des images par milliers, je l’économise car les pellicules argentiques se font rares et de toute façon je n’ai pas les moyens, de temps en temps je cède à la tentation quand me saisit ce mélange de nostalgie et d’espoir fou si propre à cette ville, un soleil voilé par une fumée acre et noire, des immeubles majestueux mais décrépis au milieu de rues quasiment vides, le fleuve dont on ne sait pas dans quel sens il va, dans ma tête j’ai déjà le reportage photo que je ferais si je peux enfin prendre l’avion pour quitter Moscou, je veux partir depuis si longtemps, l’argent me file entre les doigts, les papiers ne viennent jamais, je suis parfois si triste que personne n’ose me donner l’aumône, je vois l’angoisse dans leurs yeux, c’est parce que je suis libre, moi, je suis déjà parti en fait et ils m’en veulent pour cela.

d’après la photo du jour 17 février 2012 de @abelyak sur Webstagram

Photo du jour 10 février 2012

de retour de ma journée de travail, je bifurquais sur la jetée pour l’ivresse des embruns, pour les reflets du soleil dans l’océan, je m’accoudais sur la rambarde pour écouter vivre le vent et les jours sans, juste laisser gagner la profondeur du silence en bord de mer, je marchais sans prêter attention aux gens ou au paysage toujours identique, juste les variations de l’océan, l’été je mangeais un sandwich pour faire durer le plaisir, je ne me suis jamais baigné de peur de rompre le charme qui m’unissait à cet élément sauvage et sensuel, on se charmait de loin, il m’arrivait de dessiner l’horizon et la mer quand elle était très agitée, grâce à cette balade quotidienne, je ne me suis pas vu vieillir, et maintenant que je ne peux plus marcher, je suis fatigué, l’océan me manque, personne pour m’amener aussi régulièrement et quand j’y vais ce n’est plus le même plaisir, je ne reconnais plus rien, je ne me reconnais plus, très vite, très fort, j’ai envie de fuir, ma vie n’a plus de rêve et je tourne en rond, ma tête est devenu une impasse.

inspiré par la photo de @n883 élue photo du jour 10 février 2012 sur webstagram

Photo du 3 février 2012

je l’ai attendu, elle a fini par arriver cette satanée neige, ces derniers temps le ciel était lourd de belles promesses mais rien n’y faisait, les nuages s’éloignaient et je redevenais triste, irritable, j’avais pris ma décision à l’automne de venir m’installer définitivement à la montagne, je voulais en finir avec la ville et ses passages incessants du désir, j’ai tout liquidé y compris ma solitude, je me sentais léger dans ce chalet, au début j’étais joyeux et l’attente ne comptait pour rien, tout était réglé dans ma tête, je me délectais du paysage, je me fatiguais avec de longues randonnées, je dormais tout mon saoul, je m’enivrais du vent et du froid, je vivais avec une rare intensité, la neige et la fin de l’histoire n’allaient plus tarder, et puis l’hiver a été particulièrement clément et l’attente devenait étouffante, je n’en pouvais plus, moi qui avait prévu de mourir avant Noël, tous mes plans étaient chamboulés, insomnie et aboulie m’ont gagné, j’ai dû faire bonne figure lors du passage des gardes forestiers, après leur passage tout me fatiguait, je ne voulais plus sortir, je mangeais à peine, je cassais et sciais sans cesse des bûches, je tournais en rond et je détestais ces nuages qui ne faisaient que traverser mon horizon, jusqu’à hier… maintenant la paix blanche est venue, je suis heureux, j’admire la mer de lumière devant mes yeux, je fais durer encore un tout petit peu et je vais sortir pour une ultime danse.

d’après la photo du jour 3 février 2012 de @serdar_g sur Webstagram

ballade inachevée

Après une nuit hagarde à regarder les tourbillons noirs dans le ciel de Paris, je sortais dans la rue. J’espérais retrouver tous mes sens en respirant la foule et en marchant au hasard. Les oiseaux et les feuilles d’arbre  planaient de façon menaçante. Mon cerveau cherchait de l’air. Les touristes et leurs trajectoires idiotes me donnaient envie de rire jaune. J’ai acheté une gaufre et j’ai repensé à mon enfance si heureuse. Je chantais tout le temps. On ne m’obligeait à rien. Aujourd’hui… Je marche en zigzaguant vers une sculpture dansante, ces inengendrés qui tentent de se faire comprendre du ciel sombre. Je continue à marcher au hasard. Je fuis l’Echappée qui voudrait nous absorber. Je continue à marcher au hasard. Je m’arrête trop longtemps devant cet arbre blanc inaccessible mais si beau. Je voudrais continuer à marcher au hasard mais je reste immobile, sans attente, sans peur, sans désir.

d’après le photoblog de Luc Lombarda, inspiré de la photo Ballade à Paris du 24/10/2010

le temps du passage d’un nuage

Tag Oiseau + UAu détour d’un chemin, tomber amoureux d’un drôle de piaf noir sur pierre, se mettre d’abord à danser devant les passants sans soucis, chanter ensuite une ritournelle si si si joyeuse qu’elle agace et crispe les moroses, dans la rue regarder ses voisins avec l’oeil du piaf et rire parfois au risque de si si si se faire biffer par la police qui aime tant et si que tout soit lisse et triste, à force de changer de mur pour changer de paysage réussir à trouver le ramage qui aime mon plumage, ne plus bouger et changer de disque pour un contre-U si si si surprenant mais tellement rond que beaucoup zappe et ceux qui l’entendent dansent en U et gardent le visage si si si heureux le temps du passage d’un nuage

Photo du 13 janvier 2012

Quand j’étais enfant, je rêvais de la ville, je voulais y aller, j’y mettais toutes mes forces à l’école ou aux champs quand je devais travailler pour mon père, j’y pensais tout le temps, il y avait ce rêve récurrent où je marchais sur l’eau avec ma petite soeur et nous voyions la ville surgir de la mer au loin, les immenses immeubles étaient beau, d’un beau écarlate, plus beau que toutes les merveilles que j’avais eu l’occasion de voir à la télévision, j’attendais, j’ai attendu, j’ai cru à mon départ, j’ai travaillé à l’école pour être le meilleur pour avoir droit à une bourse, j’ai travaillé dans les champs jusqu’à en être groggy pour mettre de l’argent de coté, j’avais acheté une carte pour mon trajet et je m’étais renseigné sur les logements, il ne restait plus qu’à traverser l’eau du rêve et à toucher le corps sensuel de la ville, et sans crier gare je me suis retrouvé aveugle, pas d’accident, pas de maladie, juste un rideau noir qui tombe dans ma tête, il ne me reste que la tristesse, ce rêve et les mots dits qui m’accompagnent mais que je ne pourrais jamais répéter.

d’après la photo du jour 13 janvier 2012 de @genie688 sur web.stagram
http://web.stagram.com/p/550940810_1232537

des murs qui parlent

C’est ici que le poète pesait les âmes de ses compagnons d’enfermement. Sa cellule était couverte de textes, du délire au poème en passant par les recettes de cuisine. Au détour de ce palimpseste infini, on pouvait lire – paraît-il, car les autorités ont fait repeindre la cellule à la hâte –le nom des compagnons exécutés ou « disparus ». Les morceaux joués par l’orchestre de la prison figuraient aussi, toujours du classique. Le poète écrivait tard dans la nuit, même quand la lumière avait été éteinte. Et puis, quand le grattement du poète contre le mur s’est arrêté, ils ont su que la catastrophe était proche. Tout le monde a été libéré et ils se sont retrouvés dehors, perdus, face à un monde incompréhensible. Ils n’avaient plus de mémoire. Sans le poète, ils ne savaient plus qui ils étaient. Ils avaient perdu le sourire. Les compagnons d’infortune du poète eurent beaucoup de mal à se disperser. Ils reviennent tous les ans visiter la prison-musée.

à partir de la création d’art-postal visible ici

Perdu dans Amsterdam

collage sur une carte d'Amsterdam

Roger aime voyager par procuration. Il s’assied devant son ordinateur et utilise Google Street View, ce service qui permet de se promener dans les rues de beaucoup de villes dans le monde grâce à des prises de vues à 360° faites depuis une voiture.

Dès que je prononce le nom d’une ville, soit entendue à la radio lors d’une émission, soit comme lieu de vacances potentielles – cela ne rate jamais – Roger fait sa visite virtuelle et m’envoie une carte bricolée par ses soins.

Il faut dire que Roger est amoureux de moi. Ses cartes sont des puzzles, des énigmes à décrypter. J’ai tout essayé : rébus, codes secrets à partir des noms de rue, construire des phrases à partir des images, comme par exemple, « aller à l’église située entre la montgolfière et l’arbre », les prédictions de Nostradamus, le marc de café… tout ! Rien à faire ! Impossible à comprendre.

Quand je donnais ma langue au chat, Roger s’énervait, et allait bouder. Il est encore plus beau quand il boude.

Avant de partir à Amsterdam, j’ai reçu cette carte, avec pour la première fois, un personnage, certes triste, mais bien présent. Ce fut le déclic, j’ai décider de l’emmener avec moi. Il a été heureux tout au long du séjour.

Un jour, avec un grand sourire, Roger m’a montré l’endroit d’où devait partir la montgolfière de sa carte. J’étais contente de le voir ainsi.

Dommage que Roger soit autiste, sinon, je me marierais bien avec lui.

(image seule aussi sur isartpostal)