micro-fictions 3

1/ Chez le dentiste

Impossible de tenir en place. J’imagine ce que le dentiste est en train de faire à la jolie jeune fille avant moi. Elle n’est restée que quelques instants mais j’ai aimé sa mèche en bataille devant son visage penché sur une revue people. Elle était calme et souriait dans sa lecture. Puis l’assistante est venue la chercher. Son mouvement était léger et gracieux comme un oiseau qui s’envole. Je n’arrive pas à me concentrer ni sur Les Bienveillantes -que je dois absolument finir pour donner mon avis à mon beau-père- ni sur les hebdomadaires d’informations ni sur les magazines féminins. Je pense à ce boucher qui doit lui charcuter la bouche. J’ai mal pour elle, j’ai déjà mal pour moi. En plus, c’est long. J’entends d’ici le bruit de la fraise. Je sens que je vais me sentir mal. Le temps passe. Je regarde la pluie par la fenêtre. J’en ai marre. Je vais partir. J’ai trop peur. Je me lève. La porte s’ouvre. L’assistante entre accompagnée de la jeune fille en tenue d’assistante. « Désolé pour ce petit retard, le docteur et moi devions présenter le cabinet à notre nouvelle stagiaire. Nous sommes tout à vous maintenant. »

2/ Concert improvisé

Je suis bien assis. La guitare commence sur fond léger de batterie. Je regarde la basse se préparer en suivant la partition. La trompette détourne mon regard et emballe le morceau suivi de près par les cymbales. Le thème s’installe quelques mesures avant de commencer à se déconstruire. Le bassiste frotte et triture ses cordes grinçant une tension sourde à ce moment musical. La batterie se met à hésiter entre deux rythmes alors que la trompette s’étouffe. On se croirait en plein polar avec la guitare qui s’acharne sur deux accords. Silence. Puis la trompette reprend crescendo s’essoufflant toute seule. Tout doucement les autres instruments replacent le thème qui s’amplifie pour faire gronder les voûtes de ce petit caveau. Tout repars en vrille jusqu’à l’assassinat en règle par une batterie tenace et démultiplié. Silence. Je me lève après les applaudissements pour annoncer le titre: « mort du chanteur de jazz ».

3/ Mamie voyage

– Je vais être en retard. Ne m’attendez pas.
-…
– C’est la SNCF qui fait des siennes.
– …
– Cette fois-ci… et bien, ils n’ont pas trop précisé… si… c’est la locomotive qui est en panne.
-…
– Comme tu dis, je n’ai pas de chance. A chaque fois cela tombe sur moi!
– …
– Oui, je vais dormir à Lyon pour attendre ma correspondance de demain matin.
– …
– Non, ce n’est pas la peine que tu rappelles. Je vais me débrouiller. Non! J’ai l’habitude… puisque je te dis NON!
– …
– Excuse-moi, c’est l’énervement du retard… Tu trouves que c’est bruyant pour un train… comme un restaurant… et…bien… c’est la solidarité entre retardataires… La SNCF a distribué un casse-croûte et des boissons, cela discute dans une bonne ambiance… oui avec du vin, d’où le bruit de bouchon… la musique, un téléphone qui joue… un air de classique… tout le monde n’écoute pas du rap ou de la techno… écoutes, je te laisse, je n’ai plus beaucoup de batterie… c’est cela à demain.
– Il va falloir trouver une autre excuse pour la prochaine fois, mon amour. La SNCF a bon dos. A la tienne!

vie labyrinthe

Ma vie est un labyrinthe
où je m’éreinte
criant ma plainte
dans un air sans teinte
je me perds dans le brouillard qui suinte
chaque détour est une feinte

je bois ma douleur comme un pinte
et la mort n’est pas ma seule crainte
mon corps rigide comme une plinthe
gît sur le pavé, toute respiration éteinte
l’issue n’était peut être plus hors d’atteinte

d’après photoblog Terminal 715, inspiré de la photo Pile of wood

le vent ivre

toute la journée, je me suis gorgé de vent, j’ai regardé passer les oiseaux, les hommes, les pollens, les cercles et les rêves, l’euphorie coulant du vent a éveillé la furie de mes actions circulaires, ma rage a fait renaître la poésie du moulin à vent, si longtemps fossile, et maintenant sa roue tourne, mon rire dément salut la vibration de ses ailes, je cours autour avec l’appareil photo, saisir le mouvement giratoire de ma folie, le vent n’est que l’ivresse des idées cherchant à renverser le monde.

d’après le photoblog terminal715, inspiré de la photo Screen shot

en feu

fermer les yeux
résister à l’envie de l’embrasser
la musique échauffe mes désirs
elle danse et

je voudrais
l’enlacer, lui dévorer la bouche, lui

dans le noir du caveau
lui glisser les mains sur le corps

la flamme est en nous
tout n’est plus comme avant
je n’ai pas résister à sa passion

quand j’ouvrirais les yeux
son sensuel sourire m’accueillera en silence
la musique n’existera plus pour nous

garder encore un peu
les yeux fermés
l’imaginer encore là

son corps enflammant la jazz session
d’après le photoblog Terminal 715, inspiré de la photo In flames

micro-fictions

1/ Indigestion

Dans la joie presque dansante de l’apéritif, je bois et je picore. Je parle et j’écoute. Les convives virevoltent. Je souris d’aise. Mes pensées vagabondent ici ou là. Mes yeux parcourent rieur l’assemblée. Le soulagement est sensible quand lesfêtards s’attablent. Les conversations se font feutrées et intimes. Le bruit des couverts est à peine perceptible. Les enfants tournent sans cesse les yeux vers la scène sans musiciens et l’étalage de cadeaux. J’empile les entrées et les plats principaux ne me résistent pas. Le buffet de fromage est un délice. J’engouffre les desserts plus par gourmandise que par appétit. La fatigue arrive soudain. L’alcool fait son effet. J’ai mal au ventre. Mon crâne devient lourd et brumeux. Encore une fois, je suis bon pour une digestion longue et pénible.

2/ Le café

Je tapote en rythme sur la table ronde du café. La tasse est à moitié vide. J’attends. Le livre de poche est posé avec le marque page qui dépasse. J’hésite. La lecture au milieu de toute cette agitation est un voyage plus doux que seul à la maison. J’ai l’impression de vivre deux vies en même temps. L’intensité du bar et des ses clients, la vibration des aventures du livres. Je ne lis que des histoires rocambolesques, de la science-fiction ou des romans d’aventures. Je suis le héros qui sauve tout le monde et brille de mille éclats. Seulement, j’attends que le café se remplisse. Pour l’instant c’est bien trop calme et cela gâche le plaisir de la lecture. Je ne comprends pas, d’habitude. La une du journal me rappelle soudain qu’aujourd’hui c’est férié.

3/ Amours métropolitains

Ils s’embrassent sans que les passages incessants du métro ne les troublent. A 8h00 du matin, ils prolongent la joie nocturne. Le couple frémit d’aise de voir le regard intrigué des passants courant après le métro. Ils ont l’allure d’un couple adultérin se faisant de dernières papouilles avant de retrouver la banalité du quotidien. Il est vrai que l’état de grâce dure. C’est sûrement parce qu’ils forment un couple recomposé. Ils dégustent leur amour avec le goût de l’expérience. Ils s’admirent sans illusions. Ils s’acceptent mutuellement mais sans concession. Depuis plus d’un an, le couple joue ce petit théâtre de leur bonheur donnant une raison d’y croire à une adolescente dont les parents se haïssent silencieusement.

pensées enflammées

mes pensées rougeoient dans la nuit, impossible de m’endormir, les idées tournoient dans mon cerveau, elles s’appellent, s’affrontent, s’imbriquent, se mélangent et festoient à mon insu, mais surtout les idées s’enflamment les unes aux autres, le trop plein s’évapore et suspend son heure, aucune n’est prête à fondre plutôt disparaître que de s’affadir, je m’enivre de leur alcool, il me suffit parfois d’étendre les mains pour toucher la brûlure de leurs formes, je n’ai pas peur, je souffle leurs braises pour rester en vie…

d’après le photoblog Lost in Pixels, inspiré de la photo Light my fire.

survivre

la guerre a tout détruit, même les ruines de chez moi sont en sursis, j’entends la fureur de la fin qui s’approche, la douleur revient parintermittence , j’ai tellement mal, impossible de décrire ce qui me fait le plus mal, la balle qui remue mes entrailles, la main cassée qui pend au poignet, une partie à vif de mon crâne, ou… je ne compte plus les blessures, je serre de toutes mes forces ce dictaphone, la fleur qui est si belle se dresse pour survivre, capter le peu de lumière sous les nuages de la guerre, disséminer ses pollens sous le moindre coup de vent, je cherche mes mots pour dire l’émotion, ma mémoire est trop fatiguée, je pleure en sachant que cela ne s’entendra pas, il ne me reste qu’à prendre une photo et espérer qu’elle disperse très loin sa douleur de vivre

d’après le photoblog Lost in Pixels, inspiré de la photo I will survive

empreinte

j’ai presque
on me croit
je suis l’ombre de mon poids
relief disparu
je marche translucide
la glace n’a pu m’atteindre
le corps froid, le cerveau en ébullition
je suis suspendu à la frontière
…//…
personne ne m’écoute
quand je gratte l’écorce givrée
cherche à exhumer le sable
à peine refroidi de
j’y suis presque
si seulement
si d’autres mains existaient

d’après le photoblog Lost in Pixels, inspiré de la photo Man on the Moon

cimetière

assis dans mon cimetière, j’essaie de me souvenir de qui je suis, de ce que je viens faire là tous les jours, on me croit venu pour me recueillir, je ne connais personne ici, j’ai eu si peu d’amis, je les compte sur les doigts d’une main, ils sont loin ou déjà morts, j’essaie de me souvenir si c’était de vrais amis, l’automne est l’horrible saison des incertitudes, entre l’été et l’hiver la nature se pare de ses beaux atours pour cacher son désespoir à s’enlaidir, on me prend pour un bon petit vieux, j’essaie de me souvenir de pourquoi j’ai vécu, quelques bricoles, deux ou trois belles choses, beaucoup de méchanceté, j’essaie de me souvenir le pourquoi de mon caractère exécrable, je n’y arrive plus, même pleurer ou donner le change je ne peux plus faire, je marche sous les arbres, je flâne entre les tombes de ceux qui sont déjà morts, comme moi, j’ai oublié trop de choses pour me repentir.

d’après le photoblog photos>mdny, inspiré de la photo Fall Afternoon in Green-Wood Cemetary

rayer l’espace

danser et tournoyer
à force d’enthousiasme, de déséquilibres heureux
le vertige bleu nous envahit
les lumières de la ville jouent avec notre regard
les glissements sur la glace jouent avec nos oreilles
les frottements de l’air jouent avec notre peau
douceur du cocon glacé qui nous enveloppe
ravissement de pouvoir jouer avec l’air
qui frémit de nos crayons de couleur
rayer l’espace de nos mouvements
tracer notre vertige, puis
au prochain tour, nous écrirons un mot d’amour.

inspiré du photoblog photos>mdpny, d’après la photo On a Cold Night, Movement on the Rock Center Ice Rink